Publié le 06 janvier 2016

Laurent Tillie : « Il ne doit y avoir aucune limite en termes d’objectifs »

Interview de Laurent Tillie, entraîneur de l'équipe de France de volley-ball

Laurent Tillie est devenu, en 2012, l’entraîneur de l’équipe de France de volley-ball dont Generali France est le partenaire assureur depuis près de 20 ans. Il a amené, en 2015, son groupe à la victoire en Ligue mondiale et au championnat d’Europe. Retour sur un bel itinéraire, dont la prochaine étape sera le tournoi de qualification olympique, du 5 au 10 janvier 2016 à Berlin. Laurent nous dévoile quelques secrets de la réussite.

Comment procédez-vous pour obtenir des joueurs un niveau aussi exceptionnel de performance et maintenir la motivation dans la durée ?

Quand j’ai pris en charge l’équipe de France, il m’a semblé essentiel de donner un objectif, même s’il pouvait sembler lointain : se qualifier pour les JO. Le collectif a besoin d’être fédéré par un objectif. Cela met les étapes en perspective. À chaque stage, je reviens sur l’objectif, ce qui a été fait, ce qui reste à accomplir, pour donner du sens et introduire une certaine rigueur dans ce que nous faisons : « Vous savez depuis combien de temps nous travaillons et pourquoi. Sur cet entraînement spécifique, nous allons faire ceci. Cela a un sens ». De plus, se préparer depuis trois ans aide à s’approprier le stress. Le prendre de plein fouet au dernier moment serait paralysant. Alors que là, nous en avons pris l’habitude.

Vos stages ont la réputation d’être longs et durs. Sur quels ressorts jouez-vous ? Quel message faites-vous passer en priorité ?

Pour être performant en compétition, il faut une grosse période d’entraînement. On est obligé d’aller dans le dur pour pouvoir rebondir et performer. Je considère que nous n’avons pas une obligation de résultat, mais nous avons une obligation de moyens. Les joueurs doivent être irréprochables concernant les efforts déployés. Il peut y avoir de la fatigue, de la lassitude, les articulations qui font mal. Mais ce que je demande aux joueurs, c’est de me donner 100% le plus longtemps possible. De mon côté, pour remplir leur réservoir émotionnel, je travaille sur la satisfaction de faire quelque chose de difficile, la fierté d’effectuer ce que les autres n’ont pas l’habitude de réaliser. Cette satisfaction est beaucoup plus profonde que le plaisir. Elle relève d’un sentiment d’accomplissement. A cet égard, l’entraîneur poursuit simultanément deux objectifs : la victoire bien sûr, mais aussi et surtout le développement de l’athlète. Dans le même esprit, j’utilise le coaching positif : quatre compliments pour un reproche. Et lorsque je veux corriger un geste, j’attends que le joueur fasse le mouvement juste pour lui dire « là c’est bien ».

Vous donnez le sentiment d’être exigeant, mais aussi parfois au bord de la transgression. Est-ce une manière d’être naturelle ou une attitude calculée ? Cela aide-t-il vos joueurs à repousser leurs limites ?

A mes yeux, si on fait du haut niveau, la seule véritable règle est « No limit, no excuse ». Il ne doit y avoir aucune limite en termes d’objectif, de souffrance, d’entraînement, de mental. C’est ma conviction que j’essaye de transmettre aux joueurs. Ce qu’il y a de bien avec les jeunes, c’est qu’on peut leur faire croire qu’ils vont être bons. A partir du moment où ils le croient, on peut les faire travailler et les rendre bons … Alors que les vieux joueurs n’ont plus cet espoir. Les seuls vieux joueurs que je prends sont ceux qui ont été très bons, car ils connaissent le travail sur lequel la réussite repose. Les jeunes sont très malléables, et on ne sait pas à l’avance jusqu’où on pourra les amener. Cela autorise tous les espoirs. C’est bien ce qui nous est arrivé en 2015. Dans ma position d’entraineur, je représente l’institution, les normes, les sélections. Mais, de temps en temps, il faut changer les habitudes, flirter avec l’irrégularité puisque j’attends des joueurs qu’ils fassent quelque chose d’exceptionnel. Je cherche l’étincelle pour qu’ils se dépassent eux-mêmes.

Comme lorsque vous projetez le briefing d’Al Pacino dans le film « L’Enfer du dimanche » ?

J’ai appris que les mots peuvent être vraiment destructeurs ou porteurs d’espérance. Je suis frappé par la puissance des mots, des symboles, des dessins, des histoires. Si l’équipe adhère, tu peux vraiment les embarquer. Dans cette séquence, il y a tout. J’ai pris le risque de montrer ces images, initialement pour présenter la progression 2012-2016, avec les objectifs intermédiaires. Cela pouvait paraître décalé, mais je le ressentais. Les joueurs sont sortis de là avec une énergie énorme, une envie d’y être déjà. Du coup, j’ai recommencé pour certains gros matchs. C’est devenu un rituel, une façon de s’auto-hypnotiser, de rentrer dans la compétition. Dans le très haut niveau, lorsqu’on se confronte aux meilleurs, on atteint les limites du rationnel. On travaille avec son cœur et ses émotions. Cette séquence permet de recentrer les joueurs sur le collectif. Il y a cette idée que chacun doit faire plus que son devoir, plus que ce qui est demandé, être solidaire, se surpasser pour les autres. Le résultat ne repose pas uniquement sur le fait que toi tu joues bien. L’enjeu est d’arriver à faire bien jouer ceux qui sont à côté de toi. Il est que tout le monde joue bien.

Propos recueillis par Bertrand Pulman et Juliette Tournand