Publié le 24 février 2022

Décryptage SPORSORA : Les Jeux Olympiques d’hiver 2022 à Pékin : un évènement sportif planétaire dans un contexte sensible

Après les Jeux Olympiques de Tokyo à l’été 2021, l’environnement des Jeux de Pékin fut également particulier, avec un cadre sanitaire très strict, loin de l’effervescence inhérente aux Jeux Olympiques en période hors-pandémie. Les spectateurs étrangers n’étaient pas autorisés à accéder aux enceintes sportives, et seuls quelques « invités » chinois ont pu assister aux épreuves. 

Par ailleurs, ces Jeux se sont déroulés dans un contexte diplomatique tendu. En effet, la Chine est accusée de ne pas respecter les droits humains sur son territoire et la disparition temporaire de la tenniswoman Peng Shuai à l’automne tend encore plus les relations à l’international. Preuve de ces tensions, certains pays comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni ont décidé de boycotter diplomatiquement ces Jeux.

Enfin, l’organisation de Jeux Olympiques d’hiver dans un pays où les conditions climatiques ne s’y prêtent pas forcément soulève des questions sur le volet environnemental, bien que l’utilisation des infrastructures construites pour les Jeux Olympiques de 2008 viennent contrebalancer cette empreinte écologique. Pour illustrer cela, le coût de ces Jeux Olympiques d’hiver est estimé à 3,9 milliards de dollars contre 10,5 milliards de dollars pour les Jeux de Pyeongchang en 2018.

Petite analyse de ces Jeux très particuliers !

Les Jeux Olympiques, un outil pour développer le soft power chinois... dans des conditions diplomatiques tendues

Avec l’organisation de ces Jeux Olympiques d’hiver 2022, Pékin a réalisé ce qu'aucune autre ville n'avait jusqu'ici réussi à faire : devenir la première à accueillir les Jeux d'été et d'hiver. Les JO de 2008 avaient impressionné, en particulier la cérémonie d’ouverture, et avaient permis à la Chine de s’affirmer sur le plan international. Le New York Times qualifia ces Jeux de “révélation sur la Chine, une démonstration à la fois de sa montée en puissance économique et politique et de son grand retour sur la scène internationale”. Depuis 2008, la Chine est devenue le premier exportateur et la deuxième économie du monde.

Preuve de l’impact que peuvent avoir ces Jeux Olympiques sur le plan diplomatique, les États-Unis puis certains de ses alliés comme le Canada ou le Royaume-Uni ont décidé de les boycotter diplomatiquement, et donc de ne pas envoyer de représentants politiques. Cette décision traduit la volonté de dénoncer le traitement des Ouïghours, minorité musulmane que la Chine est accusée de persécuter. De plus, la disparition temporaire, cet automne, de la joueuse chinoise Peng Shuai après une accusation de viol à l’encontre d’un ancien vice-premier ministre, a déclenché une forte polémique et a même amené la WTA à annuler ses tournois en Chine.

Le développement du marché des sports d’hiver en Chine

Les Jeux d’hiver ont un côté élitiste pour la Chine : ils requièrent des équipements technologiques de pointe avec des remontées mécaniques, des canons à neige ou des pistes de bobsleigh. Ces installations expriment ainsi une avancée technique et technologique en termes d'infrastructures. Dès 2015, et l’annonce officielle de l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver 2022 par Pékin, plusieurs grands programmes d’installation de stations et de parcs étaient lancés. On dénombrait, en 2015, 700 sites de sports d’hiver. Le nombre total de sites avait plus que doublé en 2019.

Ces plans d’investissement traduisent la volonté de développer une réelle culture des sports d’hiver en Chine. Ainsi, près de 350 millions de Chinois ont pratiqué des sports d’hiver depuis que la candidature de Pékin pour l’édition 2022 a été retenue. De plus, l’émergence de figures médiatiques et très populaires comme la porte-drapeau et skieuse acrobatique Eileen Gu facilite l’entrée sur le marché des nouveaux pratiquants.

Les Chinois cherchent à prouver que, malgré le fait que la Chine ne soit pas un pays avec une culture forte et historique des sports d’hiver, elle peut organiser cet évènement de main de maître, tout en s’adaptant à la situation sanitaire.

Des enjeux importants pour les marques

Malgré le contexte diplomatique tendu, les entreprises qui avaient signé des accords avec les organisateurs de Pékin 2022 pour des partenariats ont décidé de maintenir leurs engagements. Ce sont 44 marques qui ont signé un accord marketing avec le Comité d’organisation des Jeux de Pékin. Ces entreprises proviennent de secteurs divers : les télécoms, la banque, l’aérien, mais aussi plusieurs entreprises industrielles…

Néanmoins, le marché de l’équipement sportif en Chine, censé bénéficier d’une réelle fenêtre d’opportunité avec l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver, a fait face d’une part à des appels au boycott des marques étrangères et d’autre part a bénéficié d’une préférence nationale. De fait, les leaders chinois de l’équipement sportif, Anta (équipementier des athlètes chinois et des organisateurs) et Li Ning (son principal concurrent), ont profité de cette période pour enregistrer des chiffres records, Anta proposant notamment une collection « Beijing 2022 ».

Ce boycott des marques étrangères fait suite au refus de certaines marques occidentales d’utiliser du coton provenant de la région du Xinjiang, en raison de soupçons de travail forcé de la minorité musulmane des Ouïghours. Les géants chinois de l’équipement sportif, lucides sur le contexte diplomatique, présentaient leurs produits avec la mention « Nos produits contiennent du coton de Xinjiang » pour prendre le contre-pied et surfer sur le sentiment de fierté nationale.

Le contexte diplomatique tendu a donc eu un réel impact au niveau économique pour les marques partenaires mais aussi pour les marques occidentales spécialisées dans l’équipement sportif qui n’ont pas pu bénéficier des retombées d’un tel évènement tandis que les marques chinoises ont réalisé d’importants bénéfices (en 2021, Anta a vu son chiffre d’affaires progresser de 55 %, et Li Ning de 65 %).

Des Jeux propres et verts selon le pays hôte, une réalité plus complexe 

La Chine a promis des Jeux « respectueux de l’environnement » grâce à des équipements de pointe, l'utilisation d’anciens sites des JO de 2008, l'intégralité de l'électricité consommée d'origine renouvelable, ou encore l'amélioration de la qualité de l’air.

Cette ambition environnementale assumée semble contradictoire dans la mesure où environ 200 millions de litre d’eau ont été prévus pour créer de la neige artificielle dans cette zone semi-aride en temps normal, avec des stations de ski surdimensionnées. Avec le réchauffement climatique, de plus en plus de compétitions devraient être contraintes d’utiliser des méthodes similaires pour le bon déroulement de l’évènement. Un rapport de WWF de 2021 indique qu’avec l’augmentation des températures, le dérèglement climatique pourrait faire perdre jusqu’à 2 mois d’activité sportive aux Français par an. Au-delà de ces Jeux Olympiques d’hiver, c’est donc l'ensemble des sports d’hiver qui est menacé.

A Pékin, les sportifs, ont dû s’adapter à ces conditions avec une neige artificielle différente de la neige naturelle en termes de sensations, des fortes rafales de vent et des températures polaires (entre -36 et -28 degrés en ressenti au sommet de la piste). De plus, les images de cheminées de centrales nucléaires en arrière-plan de la structure de ski acrobatique ont choqué, rappelant à tous les téléspectateurs le côté artificiel de ces nouvelles stations de sport d’hiver chinoises.

L’épineuse question du financement des athlètes

Les sports d’hiver représentent un investissement conséquent. À titre d’exemple, une saison de bobsleigh nécessite un budget de 80 000€, une de skeleton 85 000€. Avec une olympiade estivale ramenée à trois ans et Paris 2024 déjà en ligne de mire, la visibilité de Pékin 2022 a été réduite ce qui a eu une incidence sur les activations des sponsors et autres partenaires privés. Trouver des fonds pour participer aux Jeux Olympiques d’hiver a donc constitué un réel défi pour les athlètes, mais ils ont pu s’appuyer sur différentes sources de revenus.

Tout d’abord, pour aider les athlètes, les fédérations peuvent leur octroyer des moyens mais, en l’occurrence, elles sont extrêmement fragilisées par la crise sanitaire. L’Agence Nationale du Sport contribue également à ce soutien. Par conséquent, le support des sponsors et partenaires privés apparait essentiel. Par exemple, les athlètes peuvent compter sur le soutien de partenaires locaux tels que JuraFlore pour Quentin Fillon-Maillet ou les produits bio en ligne Greenweez pour Mathieu Bailet et Émilien Jacquelin. Le groupe Somfy a lui fait le choix de miser sur une discipline en particulier : le biathlon. La marque est ainsi un sponsor majeur d’Émilien Jacquelin, Anaïs Bescond ou Julia Simon. Nous pouvons aussi citer les teams d’athlètes comme la FDJ Sport factory, EDF, BPCE ou SNCF qui accompagnent des athlètes participant aux Jeux d’hiver. 

Ensuite, bon nombre d’athlètes, 21 pour l’équipe de France aux Jeux de Pékin, sont en « Contrat sportif de Haut Niveau » de l’Armée, des Douanes ou de la Gendarmerie. Concrètement, ce statut particulier se traduit par un salaire, une couverture sociale et des possibilités de reconversion à l’issue de leur carrière, tout en leur laissant le champ libre pour la pratique intensive de leur sport. De plus, ces administrations aident les athlètes à gérer l’extra-sportif comme l’aspect médical ou les questions d’assurance.

Aussi, les stations de sports d’hiver sont devenues des sponsors pour les athlètes originaires de leur territoire. Ce financement est essentiel pour eux et représente parfois la moitié de leurs revenus. Ces « contrats champions » sont des échanges « gagnant-gagnant » car ils constituent une source de revenus pour les athlètes et assurent à la station une certaine visibilité. La Plagne, qui se revendique "terre de champions", compte cette année quatorze athlètes de haut niveau sous contrat pour un budget global de 250 000 euros par an.

Enfin, autre solution pour des athlètes désirant participer à la compétition pour laquelle ils s’entrainent depuis de nombreuses années : lancer des campagnes de financement participatif pour essayer de boucler leur budget. C’est le cas de Camille Cabrol, en ski de bosses, 18ème au classement mondial, qui n’avait pas obtenu le financement nécessaire pour participer aux Jeux. Grâce à cette cagnotte, elle a pu régler sa cotisation à la Fédération française de ski qui s’élève à 4000€ en échange de la prise en charge de tous les frais de déplacements et de la mise à disposition d’un entraîneur. Pour cette édition des Jeux d’hiver elle fait partie des 42% de femmes de la délégation tricolore.

Une avancée significative pour le sport féminin

Durant ces Jeux Olympiques d’hiver, 45% des athlètes sont des femmes (42% dans la délégation française) : jamais autant d'athlètes féminines n'auront participé à des Jeux Olympiques d'hiver. Le taux de femmes est passé de 41 à 45% par rapport à 2018. Par ailleurs, elles n’ont pas un rôle secondaire et ont fait office de véritables attractions de ces Jeux. Du côté des Françaises, Tess Ledeux (Slopestyle & Big air), Perrine Laffont (bosses), Gabriella Papadakis (danse sur glace) ou encore Julia Simon (biathlon), aux fortunes diverses en termes de médailles, possèdent une renommée internationale.

Plus globalement, les Jeux ont permis la confirmation de stars féminines internationales telles que Eileen Gu, Mikaela Shiffrin ou encore Irene Shouten. On a aussi assisté au triste spectacle de Camila Valieva lié au dopage. Alors que le sport féminin manque globalement de visibilité, les Jeux Olympiques font partie de ces compétitions qui lui offrent une fenêtre de visibilité égale à celle du sport masculin.

Avec la quasi-absence de public, les diffuseurs se sont adaptés pour offrir la meilleure expérience au téléspectateur

Les Jeux constituent un événement sportif majeur. Les équipes de France TV ont pris l’antenne à 1h30, chaque nuit, et ce pendant plus de 16 heures en continu par jour, jusqu’à 17h30. Mais, conscient des nouvelles habitudes de consommation du spectacle sportif, le diffuseur français a innové en créant une chaine 100% digitale «Beijing 2022 h24 », qui a retransmis non-stop toutes les épreuves, en direct, en différé ou en replay. Pour sa programmation en direct, cette chaine digitale a diffusé d’autres épreuves que celles qui l’étaient sur France 2 et France 3 pour offrir un plus grand panel de choix au téléspectateur. Au total, pendant la quinzaine olympique, les chaînes France 2 et France 3 ont proposé 360 heures de direct.

En France, Eurosport, l’autre diffuseur de ces JO d’hiver, a enregistré une augmentation de 50% de ses abonnés numériques à travers l'Europe par rapport à Pyeongchang 2018. Sur le sol français, ce sont 6,7 millions de téléspectateurs et 5,7 millions d'internautes qui ont suivi les JO d'hiver de Beijing 2022 sur Eurosport.

Les recettes publicitaires sont, d’ores et déjà quantifiables pour France TV : 140 annonceurs ont réservé des espaces, avec des recettes nettes d'environ 10 millions d'euros. Un montant de 16 % à 17 % supérieur par rapport aux derniers JO d'hiver en 2018, selon Marianne Siproudhis, qui dirige la régie publicitaire de France Télévisions.

En termes d’audience, près de 45 millions de Français ont regardé pendant au moins une minute les émissions consacrées aux Jeux sur France Télévision, soit un meilleur score que les Jeux 2018 de Pyeongchang. Sur Eurosport, plus d'un milliard de minutes de streaming ont été consommées, preuve du succès de ces Jeux. Les cérémonies d’ouverture et de clôture ont, quant à elles, attiré 3 millions de spectateurs sur France Télévision, tout comme le record du monde de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron. Le pic s’est situé avec la médaille d’or de Quentin Fillon Maillet avec 3,7 millions de personnes le 13 février.

Le bilan des Jeux d’hiver : un succès en demi-teinte pour Pékin

Tout d’abord, grâce à un protocole très strict, la Chine a permis le bon déroulement de ces JO d’hiver, sans contaminations majeures qui auraient pu remettre en cause l’évènement. La bulle sanitaire mise en place a fonctionné.

En Chine, les Jeux ont été populaires avec une attention croissante du pays au fur et à mesure des exploits de ses athlètes. Si, comme évoqué plus haut, plusieurs pays ont boycotté les Jeux diplomatiquement, aucun « incident » n’a troublé les épreuves. Les questions en matière de droits de l’homme et dans une moindre mesure, d’environnement, viennent néanmoins ternir ce bilan.

Quant à nos athlètes français, la récolte aura été de 14 médailles : cinq en or, sept en argent et deux en bronze. Évidemment, il convient de souligner la performance exceptionnelle du biathlon français, et en particulier de Quentin Fillon-Maillet qui a glané 5 médailles, dont 2 en or, et ce malgré des conditions difficiles. Il détient désormais le record français du nombre de médailles sur une édition des Jeux Olympiques d’hiver.

Désormais, place aux athlètes paralympiques, qui concourront du 4 au 13 mars 2022 à Pékin. En souhaitant un vrai triomphe à nos athlètes français !