Publié le 21 août 2019

[News Tank Sport] Entretien avec Didier Quillot, LFP

Entretien avec Didier Quillot, Directeur Executif de la LFP, à l'occasion du Trophées des Champions qui s'est déroulé à Shenzen le 01/08.

Ce 11e Trophée des champions hors de France depuis 2009 est aussi le troisième organisé en Chine, ce qui fait de ce pays celui qui aura le plus souvent accueilli cette compétition. Ce n’est évidemment pas un hasard ?

La Chine fait partie avec les États-Unis des deux pays prioritaires pour le développement international de la Ligue 1. Concernant la Chine, nous avons mené depuis un peu plus de trois ans de nombreuses actions :

  • Nous avons ouvert avec la Fédération Française de Football un Bureau à Pékin où nous avons des salariés chinois.
  • Nous venons pour la deuxième fois à Shenzhen organiser le Trophée des champions.
  • Nous avons créé des contenus digitaux pour les plateformes chinoises comme Weibo, Wechat, Toutiao et Douyin.
  • Nous avons signé des accords avec des diffuseurs chinois, en particulier CCTV, l’opérateur audiovisuel public qui représente un bassin d’audience d’un milliard de téléspectateurs.
  • Nous avons noué des partenariats avec des plateformes digitales de Pay TV comme PPTV…

Il s’agit donc d’un véritable plan d’action global qui a été mis en place pour la Chine. Aujourd’hui, les premiers résultats sont très prometteurs : nous avons eu, sur la saison 2018-19, plus de 100 millions de téléspectateurs en audiences cumulées uniquement sur CCTV. Ce résultat fait de la Ligue 1 en Chine le troisième Championnat étranger après la Premier League anglaise et LaLiga espagnole, mais devant la Bundesliga allemande et la Serie A italienne.

Sur les réseaux sociaux, nous avons un peu plus de 500 000 followers. Le Trophée des champions s’inscrit donc complètement dans cette stratégie de présence locale.

Quels enseignements ont été tirés du Trophée des champions 2018 déjà organisé à Shenzhen (Paris SG - AS Monaco, 4-0, le 04/08/2018) ?

La LFP organise ce deuxième Trophée des champions consécutif à Shenzhen avec l’opérateur chinois Kaisa Culture Sports and Tourism Group qui nous aide sur la promotion de l’événement, le remplissage du stade, sur l’accueil des équipes et sur les infrastructures mises à leur disposition.

Le Shenzhen Universiade Sports Center est un très beau stade qui était plein l’année dernière (41 237 spectateurs) et qui, je l’espère, le sera encore cette fois-ci.

Les équipes sont accueillies dans des infrastructures de qualité, qu’il s’agisse des infrastructures hôtelières ou des terrains d’entraînement. D’ailleurs, le Paris Saint-Germain a fait de Shenzhen son camp de base pour sa tournée estivale dans le sud-est asiatique.

Vous citez la Chine et les États-Unis comme priorités. La Chine constitue-elle un marché plus compliqué, culturellement, économiquement pour le football professionnel français ?

Ce sont deux pays aux dimensions géographiques comparables (9,8 millions de km2 pour les États-Unis, 9,6 millions pour la Chine), mais il y a plus d’un milliard d’habitants en Chine (près d’1,4 milliard contre 330 millions aux États-Unis, soit un rapport de 1 à 4). Le football est en Chine une priorité nationale, définie par le chef de l’État (Xi Jinping) : il veut que son pays organise la Coupe du monde 2030 et qu’il remporte un jour cette compétition.

Nous avons un Bureau à Pékin avec la FFF. Ses actions sont multiples. La Fédération crée des académies et effectue du transfert de savoir-faire en matière de formation. La LFP, elle, recherche des partenaires commerciaux, des diffuseurs et elle organise des événements sur place pour la promotion de la Ligue 1. Je dirais donc que le marché chinois est plus grand et peut représenter des perspectives plus importantes. Il existe aussi une Ligue chinoise en plein développement, de nombreux joueurs et entraîneurs français sont venus exercer en Chine et j’en profite pour saluer l’arrivée de Bruno Genesio, l’ancien entraîneur de l’Olympique Lyonnais, au Beijing Sinobo Guoan, un des plus grands clubs chinois. Ce club vise le titre et Bruno Genesio est un grand entraîneur. Je lui souhaite de réussir et je trouve très bien que des techniciens viennent exporter le savoir-faire français en Chine.

Pour en revenir à votre question, peut-être y a-t-il plus de facilité avec la Chine qu’avec les États-Unis, car le football français est moins en retard ici. Aux États-Unis, LaLiga espagnole et la Premier League anglaise sont diffusées sur les principaux networks, ce qui n’est pas le cas de la Ligue 1 ( »Aux États-Unis, seulement 11 millions de foyers ont accès à la Ligue 1« , déclare Nathalie Boy de la Tour, présidente de la LFP, dans Le Figaro, le 03/08/2019).

Deuxièmement, aux États-Unis, le soccer n’est que le cinquième sport, après le basket, le football américain, le baseball et le hockey sur glace. Le soccer féminin est plus populaire là-bas que le soccer masculin. C’est donc peut-être plus difficile de progresser sur le marché américain, mais nous devons nous accrocher : Les États-Unis sont la première puissance économique et la nation leader en matière de marketing du sport… C’est aussi des États-Unis que viennent de nouveaux investisseurs dans notre Championnat, à Bordeaux (Joseph DaGrosa et King Street Capital), à Marseille (Frank McCourt).

Au final, Chine et États-Unis sont prioritaires et l’objectif de la Ligue est de se développer dans ces deux pays.

La victoire de la France dans la Coupe du monde 2018 a-t-elle changé quelque chose au niveau de la perception qu’ont les Chinois du football français ?

Ce succès a braqué les projecteurs sur la qualité de la formation française, formation qui est le premier atout du football français quand il s’agit de l’exporter à l’international. La victoire des Bleus a fourni l’occasion à des populations de s’intéresser au football français et la Ligue 1 a bénéficié indirectement de ce succès.

Vous avez évoqué le Bureau FFF-LFP ouvert à Pékin en 2017. Joue-t-il un grand rôle dans le développement du football français en Chine ?

Absolument ! Ce Bureau est dirigé par Romuald Nguyen de la FFF. Il travaille avec Angela Sun, qui était auparavant la directrice marketing de la NBA en Chine, et qui est aujourd’hui salariée de la LFP. Il y a d’autres salariés qui sont chinois, c’est très important. Sans ce Bureau, la Ligue n’aurait pas signé l’accord auquel nous sommes parvenus avec CCTV : lors de chaque journée de Ligue 1, il y a deux matches qui sont en direct sur CCTV5, la chaîne sport de l’audiovisuel public chinois, et les 10 matches de la journée sont programmés sur PPTV.

Pour signer de tels accords, il faut connaître les interlocuteurs au sein des diffuseurs et il faut être présent physiquement. C’est très long pour signer un contrat en Chine, c’est très, très long ! Il a fallu près de deux ans de prospection pour y parvenir, nous sommes venus plusieurs fois en Chine avec Mathieu Ficot (directeur droits média production et international de la LFP), mais c’est principalement grâce au travail d’Angela Sun et à notre présence physique ici que nous sommes parvenus à un accord. 

Le contrat que la Ligue a signé avec Kaisa Culture Sports and Tourism Group prévoit un troisième Trophée des champions à Shenzhen d’ici 2023. La date est-elle déjà fixée ?

A la rentrée, nous effectuerons un débriefing à la fois du Trophée des champions à Shenzhen en 2018 et 2019 et de la tournée « Electronic Arts Ligue 1 Games » aux États-Unis (avec les Girondins de Bordeaux, l’Olympique de Marseille, Montpellier Hérault SC et l’AS Saint-Étienne à l’Audi Field de Washington DC, du 18 au 21/07/2019). Nous analyserons les points positifs et les points négatifs de ces deux événements. Nous allons étudier objectivement ce qui a bien marché et ce qui a moins bien fonctionné et nous déciderons ensuite de ce que l’on fait en 2020.

En ce qui me concerne, j’aimerais proposer au conseil d’administration de la LFP de coupler les deux événements aux États-Unis en 2020, la tournée « Ligue 1 Games » qui est entièrement financée par Electronic Arts et le Trophée des champions.

Il faut à présent trouver un promoteur pour organiser le Trophée des champions et ainsi coupler les deux événements durant la période deuxième quinzaine de juillet - début août 2020.

Ensuite, nous reviendrons en Chine, le contrat avec le promoteur chinois Kaisa prévoit en effet un troisième Trophée des champions entre 2021 et 2023.

Mais les deux clubs qui disputeront l’édition 2020 du Trophée des champions participeront-ils aussi aux EA Ligue 1 Games ?

Le plan de développement de l’été 2020 n’est pas encore arrêté.

A propos des EA Ligue 1 Games, les affluences à Washington n’ont pas semblé à la hauteur de vos attentes…

Pour cette première édition, le bilan est contrasté. Du côté des éléments très positifs, il faut souligner la qualité des infrastructures, l’accueil des équipes, les centres d’entraînement. Les quatre équipes qui ont participé étaient enchantées. Montpellier HSC, par exemple, était dans le même hôtel et utilisait le même centre d’entraînement qu’Arsenal.

En revanche, les affluences ont été décevantes. Nous n’avons eu que quelques milliers de spectateurs le premier jour et le deuxième jour. Ce n’est pas assez. Il faut réfléchir aux causes, mais d’ores et déjà, on peut dire qu’il faut revoir la formule et intégrer au moins une équipe américaine dans le tournoi. Il faut aussi être plus performant en matière de marketing et de promotion de l’événement, que ce soit via la publicité ou les réseaux sociaux en s’associant avec un ou deux clubs de MLS. La LFP pourrait miser sur leur politique commerciale et marketing, et ainsi remplir nos objectifs d’affluence dans le stade. 

En ce qui concerne le développement international de la LFP que vous jugez capital, estimez-vous aujourd’hui être dans les temps ou en retard par rapport aux prévisions ?

Nous avons défini les pays prioritaires : la Chine et les États-Unis. Notre objectif principal est d’augmenter les revenus de la Ligue 1, en particulier au niveau des droits audiovisuels internationaux. Nous avons un contrat avec beIN Sports qui court jusqu’en 2024 et nous essayons d’améliorer les conditions de ce contrat. Nous travaillons avec beIN Sports pour améliorer la valeur de ces droits, ce qui suppose d’investir en marketing, en servicing pour les diffuseurs internationaux.

Comment les clubs perçoivent-ils cette stratégie ?

Tous les clubs partagent cette ambition de développement à l’international. Bien sûr, les clubs qui participent régulièrement aux compétitions européennes, sont moteurs dans ce domaine car ils sont habitués à faire des tournées, à rencontrer d’autres clubs européens… Ce sont eux, et en particulier le Paris Saint-Germain, tête de gondole de la Ligue 1, qui sont les locomotives de notre développement international.

Ce développement international nécessite des investissements. Les clubs sont-ils prêts à dépenser plus aujourd’hui pour espérer gagner davantage demain ?

Il s’agit de créer un cercle vertueux dans lequel il faut d’abord investir : dans le digital et dans le développement international ainsi que dans la recherche d’investisseurs. Tous ces éléments contribueront à créer du « new money » qui fera grandir les clubs et l’ensemble du football professionnel français. Aujourd’hui, nous sommes dans la première phase de ce cercle vertueux. Les clubs sont unanimement convaincus que, maintenant que nous avons, à partir de 2020, rattraper notre retard sur les droits domestiques, la priorité des priorités est de rattraper le retard sur les droits internationaux et le digital.

Mais ce cercle vertueux se nourrit aussi de stars. Le départ de Neymar du Paris SG représenterait-il un mauvais coup pour la Ligue 1 Conforama ?

A l’international, ce qui augmente la notoriété et donc la valeur de notre Championnat, ce sont plusieurs choses :

  • Premièrement, les performances des clubs français en Coupes d’Europe. La Ligue des champions est la compétition la plus connue et la plus regardée dans le monde. Quand nos clubs y performent, ils font grandir la notoriété de notre Championnat.
  • Deuxièmement les stars planétaires, en particulier dans des pays comme la Chine. De la même manière que dans le luxe, les Chinois achètent des marques mondiales (Dior, Channel, Vuitton), dans le football, ils connaissent d’abord les grandes marques, que ce soit des clubs ou des grands joueurs. Neymar fait partie de ces grandes stars, mais il n’est pas le seul : Mbappé aussi, Cavani, Payet, Depay…

Mais ce n’est pas à la Ligue qu’il appartient de décider de l’avenir de Neymar. C’est l’affaire du Paris SG et du Paris SG seul. La Ligue ne s’immisce pas dans la politique sportive des clubs.

La FIFA, l’UEFA, l’AFC, la Premier League, la Bundesliga, LaLiga et la Lega Serie A ont publié un communiqué commun contre beoutQ, la chaîne pirate d’Arabie Saoudite, le 31/07/2019. Pourquoi la LFP n’est-elle pas associée à ce mouvement ?

La Ligue a déjà publié il y a quelques semaines un communiqué contre beoutQ. Nous avons déjà aussi mené des actions conjointes avec beIN pour nous élever contre beoutQ. Nous avons même entamé une action en justice et nous avons saisi ArabSat, l’opérateur satellite qui transporte beoutQ.

La dernière question concerne Mediapro qui doit retransmettre la Ligue 1 à partir de 2020. Êtes-vous inquiet, à un an tout juste de cette échéance, du fait que la chaîne à naître ne semble pas en avance sur son calendrier ?

Mediapro est un grand groupe audiovisuel européen qui a déjà créé et lancé de nombreuses chaînes, en Espagne, mais aussi à l’international. J’ai donc naturellement confiance en Mediapro, quant à sa capacité à créer une chaîne et la faire distribuer par des opérateurs. Il faut laisser Mediapro libre de faire les annonces qu’il souhaite faire quand il souhaite les faire.