Publié le 20 novembre 2019

[News Tank Sport] eSport : « On est convaincus qu'on sera rentable d'ici 4 à 6 ans»

Newstanksport est parti à la rencontre de Fabien Devide, Fondateur et Président du Team Vitality. Connu sous le pseudo "Neo", Fabien Devide évoque les actualités du Team Vitality, sa stratégie ainsi que le eSport de manière plus générale.

Pouvez-vous rappeler l’historique des levées de fonds du Team Vitality ?

Team Vitality a d’abord réalisé en 2017 une première levée de fonds de 2,5 M€ avec des business Angels et plusieurs fonds de capital-risque (dont Korelia). En 2018, on fait une deuxième levée de fonds de 20 M€ avec Cascade et Rewired GG, un family office de l’entrepreneur indien Tej Kohli. Et là, on vient encore de lever 14 M€, à nouveau auprès de Rewired GG.

Les investisseurs réalisent que les audiences vieillissent et que des sports vieillissent plus vite que d’autres. Pas mal vont investir dans l’eSport et parier là-dessus. Si j’étais rentré y a 15 ans au capital des Boston Celtics (NBA), à hauteur de 100 M€, j’aurais pu revendre les parts aujourd’hui pour 3 Md€ ! C’est ce même pari que font les investisseurs en Europe. Notre investisseur est là pour le long terme, pour accompagner le club. On privilégie plutôt un investisseur qu’un fonds d’investissement, qui espère revendre et faire du bénéfice à plus court terme. Un investisseur peut investir et réinvestir. Le nôtre a compris cette nécessité de s’engager sur le long terme.

Quelle est la structure de revenus du Team Vitality ?

Nos revenus ressemblent à ceux d’une structure sportive classique sauf que nous n’avons ni droits médias ni revenus issus de la billetterie. Or, les droits médias constituent la part majeure des revenus des organisations sportives. Notre budget de fonctionnement est de 1,5 M€ pour le jeu Counter Strike et environ le même pour League of Legends. Pour les autres jeux, cela n’excède pas 500 000 euros. Team Vitality est présent sur huit jeux soit un budget proche de 5 M€ pour être compétitif sur toutes les licences.

L'eSport est-il rentable ?

Il n’y a pas de profitabilité dans l’eSport aujourd’hui. C’est un jeu de marché, un jeu de valorisation car on est convaincu que ce modèle va devenir rentable. C’est difficile de dire à quel horizon cela peut se produire d’autant que j’ai été témoin des premières évolutions, de la vitesse d’expansion de l’eSport en quelques années. L’eSport a été capable de griller des étapes de manière fulgurante. On espère que ce sera le plus tôt possible. Je dirai qu’il faudra entre quatre et six ans. 

Il existe deux modèles de revenus :

- celui de la franchise, comme dans les sport US. C’est notre modèle en Europe sur le jeu League of Legends, pour lequel on paye un droit d’entrée de 8 M€. Les revenus globaux de la ligue sont ensuite partagés de manière équitable entre les franchisés. C’est le modèle avec le plus de rentabilité immédiate. Activision fait aussi ce pari pour le jeu Overwatch mais avec des droits d’entrée exorbitants de l’ordre de 20 à 30 M$ par franchise. 
 
- sur le jeu Fortnite, on s’est mis à prendre un pourcentage du prize money obtenu par nos joueurs. L'éditeur de Fortnite ne travaille pas avec les équipes alors que ce sont elles qui l’encadrent au quotidien. Si Fortnite disparaît demain, un joueur sans équipe perd tout alors que l'équipe lui offre une sécurité. Epic Games développe davantage un divertissement où les joueurs deviennent des influencers.
 
Le V.Hive peut-il contribuer à répondre à cette problématique de rentabilité ?
 
Il est clair que le projet V.Hive requiert un lourd investissement. On ne sera pas rentable à court terme. Mais ce n’est pas un objectif. Notre idée en proposant ce lieu n’est pas de réfléchir en terme financier, mais bien de renforcer notre marque. Nous sommes locataire de ce lieu.
Le V.Hive contient également une salle de cinéma pour 12 personnes qui va nous permettre, outre de proposer certaines expériences pour nos fans afin de les récompenser, de développer nos contenus et de les projeter. La production est une verticale que l’on développe de plus en plus. On le fait par exemple avec notre joueur Gotaga, via des créations faite à 100 % en interne. On travaillera aussi avec les équipes techniques et la régie grâce à laquelle on peut faire de la captation.
On a conçu le V.Hive pour qu’il soit modulable. Il va nous servir de laboratoire et grandir avec nous. Certains espaces pourront être privatisés par des entreprises mais on aimerait bien aussi y accueillir des scolaires ou y faire de la réinsertion via le code. Cela pourrait convenir aux heures creuses, le matin, là ou notre audience n’est pas souvent très active. 
 
Maintenant que vous disposez de nouveaux locaux et de ce flaghship, quel est votre prochain objectif majeur ?
 
Il faut vraiment continuer à gagner comme dans n’importe quelle discipline pour asseoir une crédibilité sportive sur laquelle construire une marque pérenne. Mais, mon combat personnel porte sur l'éducation. J’ai eu la chance d'être moi-même issu d’une famille modeste et je suis redevable des efforts, du sacrifice de mes parents pour mon éducation. Je perçois les bénéfices de l’enseignement que j’ai pu recevoir. 
Beaucoup de joueurs eSport sont déscolarisés et le milieu est encore précaire : 0,001 % des joueurs sont capables d'être esportifs professionnels. On peut dresser un parallèle avec la Formule 1 où dès que tu perds un volant, un baquet, cela devient très difficile de retrouver sa place. Cela me chagrine que des joueurs jouent leur vie au quotidien et se mettent une pression folle car ils n’ont pas cette éducation et ce recul. On doit aussi les rééduquer sur les vertus de la pratique d’activités physiques et de la nutrition dans la préparation et l’amélioration des performances. Le combat principal est d’amener chaque gamin esportif vers un diplôme pour assurer ses arrières car tous ne pourront pas faire joueurs, entraineurs ou commentateurs.
Pour ce faire, l'étape suivante est la création d’une académie, comme cela se passe dans les autres disciplines sportives avec la All In Academy au tennis, où l’on pourrait aussi accueillir des talents étrangers. Pour être réaliste, je ne pense pas que cette académie puisse voir le jour avant 2021 car pour la construire, il va falloir s’entourer de nouvelles compétences, consentir à un nouvel investissement et que mener à bien tout cela prend beaucoup de temps. Avant d’y penser, il faut avoir les fondations comme le flaghship qui permet de vulgariser le sujet auprès des sponsors, du grand public et d’avoir des bureaux afin de créer une culture d’entreprise ainsi que le performance center au Stade de France. On a désormais deux lieux physique dédiés à l’eSport, ce qui constitue une nouveauté dans ce secteur. 
 
Quelle est votre relation avec la communauté eSport française ?
 
On a besoin de l'écosystème eSport. La scène semi-professionnelle et amateure est dure à recréer et nous aide à dénicher certains talents. En tant que plus gros acteur français, on doit être exemplaire. Quand on achète un joueur à ces petites équipes, on ne négocie pas trop. On y met le prix, pas de manière irresponsable bien sûr, mais de manière saine pour participer au développement de l'écosystème.
 
Team Vitality développe une gamme de produits avec adidas.
 
adidas est notre partenaire sur la catégorie « textile de performance » uniquement. Nous gérons la boutique du flagship en propre et nous venons notamment de lancer une basket co-brandée avec notre équipementier.

Le merchandizing a fait un carton. On a vendu 1 300 maillots en six jours pendant la Paris Games Week (trois fois plus qu’en 2018). On était à deux items par minute en vente sur six jours. Avec la Paris Games Week, on est autour des 8 000 maillots annuels, ce qui nous placerait dans le Top 10 de la Ligue 1 Conforama !

En plus d’adidas, on travaille avec Orange, Renault et Red Bull, des marques familières dans le sport qui veulent parler à des audiences plus jeunes : on compte 17,8 millions de fans en regroupant nos comptes et les comptes de nos joueurs sur l’ensemble des plateformes de réseaux sociaux.

 
 

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