Publié le 24 juin 2021

[News Tank Sport] EM Lyon : « Les sportifs de haut niveau ont quelque chose en plus » (M. Romezy, directeur Progr. Sport)

« On se soucie peu souvent de l’employabilité des sportifs de haut niveau, une fois leur carrière achevée. C’est fort regrettable car ces champions ont développé des compétences spécifiques et exceptionnelles. Ils ont quelque chose en plus, mais qui n’est pas exploité dans leur après-carrière », déclare à News Tank Mickael Romezy, directeur des Programmes Sport et SHN (Sportifs de Haut niveau) de l’EM Lyon, le 18/06/2021.

L’EM Lyon Business School a créé « Sport inside, un système de recrutement pour l'élite des athlètes : l’entreprise finance les études d’un étudiant grâce à un système de parrainage éducatif qui permet à l'étudiant d’aménager son emploi du temps sur le campus en fonction de ses engagements sportifs. Un parrain accompagne l'étudiant tout au long de sa période professionnelle pour le préparer progressivement à une mutation de carrière, l’entreprise s’engageant à le recruter une fois sa carrière sportive terminée et son diplôme obtenu », explique l’EM Lyon.

« La réflexion est vraiment sur le parcours adapté et le multi-choix. C’est le gage de la réussite pour tous. La valorisation de notre travail, c’est de savoir que d’anciens sportifs-étudiants s’éclatent dans leur job et donnent pleinement satisfaction à leur employeur », indique Mickael Romezy qui répond aux questions de News Tank.


« Une formation bien pensée et bien accompagnée va rassurer les jeunes champions, les sécuriser et les rendre souvent meilleurs sur le terrain » (M. Romezy, EM Lyon)

De quand date le déploiement du programme Sport et SHN (Sportif de Haut Niveau) de l’EM Lyon  ? 

L’EM Lyon est depuis une cinquantaine d’année une terre d’accueil pour les sportifs de haut niveau. Avec des moyens plus classiques que ceux d’aujourd’hui, avec beaucoup de présentiel, même s’il y avait déjà des horaires aménagés. C’était déjà compliqué pour les sportifs qui voulaient accéder au haut niveau, surtout pour ceux qui pratiquaient des sports collectifs.

Il y a cinq ans, quand je suis arrivé à l’EM Lyon, nous avions des champions qui étaient dans ces problématiques. Ils sont venus m’expliquer leur situation et nous avons ensuite coconstruit un programme qui a servi aux générations suivantes. Ce travail est parti de leurs attentes, leurs besoins, leurs contraintes. Ce travail de réflexion était posé pour tout type de sport et de champions, quel que soit leur âge. Un continuum de formation qui va du post-bac à la reconversion avec des dispositifs 100 % distanciels, mais aussi hybrides. Dans ce groupe initial, il y avait un basketteur qui évoluait en Pro B, une escrimeuse à l’INSEP, deux skieurs … 

Aujourd’hui, combien votre offre touche-t-elle de sportifs  ? 

Nous allons entamer en septembre 2021 la troisième année d’existence des programmes. En année 1, nous avions 35 étudiants, en année 2 plus d’une centaine et en septembre 2021, nous aurons un effectif de 250 sportifs, tous programmes confondus.

La notion d’employabilité est primordiale pour vous ?

Beaucoup d’initiatives sont portées autour du sport et des sportifs de haut niveau, mais on se soucie peu souvent de leur employabilité, une fois leur carrière achevée. C’est fort regrettable car ces champions ont développé des compétences spécifiques et exceptionnelles. Ils ont quelque chose en plus, mais qui n’est pas exploité dans leur après-carrière. Les grosses structures comme les clubs, les centres de formation, l’INSEP… ont une obligation d’accompagnement, mais pas celle de tirer le maximum du potentiel de chacun.

Dans le football par exemple, les centres de formation vont diriger de façon assez uniforme les jeunes vers un bac professionnel. C’est assez facile et surtout peu risqué. Ce sont des choix par défaut. Donc le jeune qui ne se sent pas concerné par le choix que l’on a fait pour lui ne va pas s’engager à fond. Cette démarche est préjudiciable car à la fin, l’après-carrière n’est pas assurée. A contrario, si on emmène ces jeunes qui ont des capacités exceptionnelles vers des formations exigeantes et ambitieuses, ils sont tout à fait capables de réussir s’ils y mettent les mêmes ingrédients qu’ils utilisent pour performer dans leur sport. 

C’est ainsi qu’est né « Sport Inside  » pour immerger les jeunes et les moins jeunes dans des univers professionnels ciblés qui correspondent à leurs appétences pour exceller comme ils le font dans le sport. C’est en allant à la découverte des entreprises, des secteurs, des branches métiers qu’il vont construire leur envie. A la sortie, ils auront des jobs en corrélation avec leur potentiel et leurs désirs afin qu’ils s’y épanouissent. Des postes qui ne seront pas moins-disants en termes de responsabilité et de salaires. 

Comment faites-vous pour rendre compatibles les compétences de vos champions et leurs désirs de formation  ? 

Nous travaillons sur un profiling individuel. On part des préférences motrices cognitives, émotionnelles, relationnelles et des compétences qu’ils ont utilisées pour leur pratique sportive. On se rend compte que chacun a un profil différent, même ceux qui font partie d’une même équipe ou pratiquent le même sport. On ne peut donc pas généraliser. On va ensuite déterminer des domaines d’appétences que le sportif peut expérimenter à travers notre réseau d’entreprises. Grâce aussi à nos alumni (anciens élèves), on va connecter le champion avec la ou les bonnes entreprises qui correspondent bien à ses envies.

Ils vont ainsi pouvoir échanger et se faire une véritable idée de leur possible futur. C’est ensuite plus facile d’avancer avec eux quand on part des compétences et des besoins que de leur imposer une route qui n’est pas tracée pour eux. Les entreprises sont friandes de ce type de profil, car un sportif motivé et bien formé va leur apporter le petit  plus que d’autres n’ont pas. Il faut que très vite, de plus en plus d’entreprises se rendent compte de la richesse et du potentiel de ces profils. 

Cette démarche est-elle bien comprise par les clubs ou les centres de formation  ? 

Leur intérêt reste la performance sportive, souvent à court terme, ce qui place le champion dans une position inconfortable, car sa vie d’après, c’est du long terme. Et pour 15 ans de carrière sportive, il faut compter le double pour la «  deuxième  » vie. Cette notion commence à être mieux comprise par un certain nombre d’acteurs. La perspective de Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et le renouvellement à la tête des fédérations aident aussi : le suivi socio-professionnel des champions pour construire avec eux un projet de vie qui va au-delà du terrain était dans de nombreux programmes électoraux.

Il faut souhaiter que ces bonnes intentions soient suivies d’effet. Car la pression est forte sur ces jeunes champions qui parfois craquent, car on leur demande à 15-16 ans d’être «  pro  » dans leur activité, alors que la plupart d’entre nous sont sur les bancs de l’école jusqu’à parfois 25 ans. Une formation bien pensée et bien accompagnée va les rassurer, les sécuriser et les rendre souvent meilleurs sur le terrain. C’est une notion pas encore bien intégrée par les entraîneurs comme c’est le cas aux États-Unis. 

Derrière l’employabilité, certains partenaires du sport n’ont-ils pas joué l’effet de communication davantage que la véritable intégration des champions dans leur entreprise  ? 

La création de pool de champions et leur accompagnement partent souvent d’une bonne intention. Les pactes de performances permettent aux athlètes de bien s’entraîner pendant une période donnée, mais au bout de la préparation et après un rendez-vous majeur, on se rend compte que peu de choses ont été construites sur l’après, qui ne peut pas se résumer à un job d’ambassadeur de la marque. Si on incluait un volet éducatif à ses teams d’athlètes, on les ferait monter en compétences pour une meilleure reconversion.

L’entreprise pourrait aussi tirer un meilleur profit du potentiel de ces sportifs qui, au niveau de l’engagement par exemple, sont au-delà de la norme. Ils pourraient briguer des postes plus épanouissants avec plus de responsabilité. Le retour sur investissement serait ainsi meilleur pour l’entreprise. Certaines vont au-delà de l’effet d’image comme la Française des Jeux (Sport Factory) qui accompagne une team athlètes jusqu’aux prochains Jeux et leur propose de prendre en charge une partie de leurs frais de formation à Sciences Po ou chez nous à l’EM Lyon. C’est un véritable engagement sociétal. 

Qui sont vos partenaires majeurs  ? 

On travaille main dans la main avec beaucoup de référents «  suivi socio-pro  » des fédérations pour accompagner leurs espoirs et leurs grands champions. On travaille aussi avec beaucoup de syndicats de joueurs qui accompagnent la reconversion de leurs membres comme le rugby, le volley, le hockey, le hand, le basket, le cyclisme… On travaille également avec des structures comme l’INSEP, les pôles, les CREPS… Et aussi avec des clubs qui sont bien structurés et qui ont mis le double projet au cœur de leur stratégie de formation comme le Stade Français Paris et son directeur général Thomas Lombard

Il existe aussi des clubs formateurs comme Aurillac qui fonctionnent plus comme des tremplins pour certains qui vont accéder au haut niveau mais qui vont aussi accompagner ceux qui vont continuer à jouer à des niveaux plus modestes. Notre rôle est de dire que chaque sportif est porteur de compétence et qu’il faut les accompagner sur une orientation choisie.

Source : News Tank Sport