Ancien de Salomon, Scott, Adidas-Reebok, Pascal Aymar est aujourd’hui en charge de l'unité Sports de l’EM Lyon et consultant en stratégie dans l’industrie du sport.
Il narre à Filière Sport les rencontres décisives, les faits structurants et les réflexions qui ont façonné ses 35 ans de carrière dans le secteur.
Après avoir obtenu votre diplôme de l’EM Lyon, où vous enseignez et où vous nous recevez pour cette interview, vous avez rejoint Salomon. Qu’est-ce que cela représentait pour vous à l’époque ?
Mon ambition était de travailler dans l’industrie du sport, car le sport a toujours été ma passion. J’ai toute ma vie pratiqué le football, le ski, le rugby, le tennis… Mon diplôme obtenu, j’ai donc contacté tout ce que la France comptait d’entreprises du secteur. Et j’ai eu la très, très grande chance d’entrer chez Salomon en 1980, à Annecy. Salomon était à cette époque une entreprise de découvreurs, d’ingénieurs, avec un ADN technique très fort. Elle avait à sa tête un homme extraordinaire, Georges Salomon, qui avait senti le besoin de compétences issues d’autres horizons, ce qui l’a conduit, dans les années 80 à 90, à recruter des gens comme Michel Barthod, un sociologue qui a beaucoup fait pour l’entreprise en tant que directeur général. J’ai moi-même commencé au service Études marketing. Le marketing n’était pas forcément dans les gènes de la marque mais Georges Salomon considérait, et c’est une valeur que j’ai gardée toute ma carrière, que les produits doivent apporter des bénéfices aux consommateurs et aux distributeurs. Nos produits devaient être différents de ceux de la concurrence et apporter un plus.
Comment se portait le marché du ski à l’époque ?
Nous avons vécu de belles années jusqu’en 1989 et 1990, deux hivers sans neige qui ont obligé Salomon à mettre en place un plan social pour réguler une croissance qui avait été trop forte. Entre 1987 et 1990, j’ai dirigé la filiale France, ce qui m’a donné l’occasion de mieux comprendre la distribution. J’ai assisté à l’éclosion des chaînistes en France, Go Sport, Sparty, Fnac Sport, Disport, et bien sûr Decathlon. Trente ans après, il n’en reste que deux, dont l’un des leaders mondiaux. Pourtant, le business modèle de Decathlon n’était alors pas donné comme favori. La réussite revient souvent aux acteurs atypiques et innovants. Je suis aussi très admiratif de ce que fait le Vieux Campeur. Qui aurait dit que ce format unique, que tout le monde croyait réservé à Paris, ferait la différence dans des villes telles que Sallanches ou Grenoble ?
Quelle était la position de Salomon par rapport aux grandes surfaces de sport ?
Dans les années 80, la bataille se jouait plutôt pour nous contre la distribution alimentaire : Auchan commençait à ouvrir des corners ski, Casino s’intéressait au marché… Nous avons mis en place des contrats de distribution sélective pour défendre notre distribution spécialisée. À côté de cela, nous faisions comme tous les fournisseurs : pris entre la distribution traditionnelle, pour qui les chaînes intégrées étaient le démon, et ces dernières dont nous étions persuadés qu’elles représentaient une partie de l’avenir du marché , nous ménagions la chèvre et le chou. À toutes les époques, de grands groupes se constituent dans le commerce comme dans l’industrie et se renforcent mutuellement. C’est l’évolution naturelle et il y a de la place pour tout le monde. Un marché comme celui du sport aura toujours besoin d’hyper-spécialistes pour créer l’image et satisfaire une clientèle qualitative de prescripteurs.
Quelles sont les clés de la réussite en entreprise ?
Pour moi, l’entreprise c’est d’abord les hommes, aussi bien ceux qui font fonctionner la machine que ceux qui font bouger les lignes. Ces derniers permettent aux entreprises de faire de grands pas en avant. Ma carrière a été ponctuée de rencontres humaines exceptionnelles avec des gens souvent atypiques mais visionnaires et capables de se battre pour des idées : Georges Salomon, son fils Bernard, Jean-Luc Diard qui a beaucoup oeuvré pour le développement de Salomon dans le ski, la chaussure et le textile avant d’innover aujourd’hui dans le running avec Hoka, Christophe Bezu et de nombreux autres chez Adidas mais aussi des représentants, des logisticiens, des sportifs, des détaillants, des promoteurs, des financiers,des distributeurs étrangers qui tous ne se contentaient pas d’exécuter mais apportaient leur conviction et leur talent. Les deux autres clés sont à mon sens l’envie d’innover et le travail. Ces trois valeurs, richesse des hommes, capacité d’innovation et intensité du travail, on les retrouve à mon avis rarement aujourd’hui. Peut-être chez Picture, une jeune entreprise qui a été parrainée par l’Outdoor Sports Valley. À l’inverse, beaucoup de jeunes veulent créer une start-up avec pour seule ambition de la revendre dans les trois ans, et cela me choque.
Quels vous semblent les atouts et les handicaps de la France dans la compétition mondiale ?
Le plus dommageable pour la France, c’est notre complexité sociale, fiscale et administrative, qui dissuade beaucoup d’entreprises étrangères d’implanter des sièges européens ou des filiales. À l’exportation, notre plus gros handicap est dans la tête, les Français ne sont pas assez ouverts au monde ni très portés sur la vente. Dans le secteur sport, il manque certes à la France une major, mais nous détenons une importante structure d’entreprises dynamiques de taille moyenne. La chance des opérateurs du secteur est de pouvoir compter sur un développement linéaire de leur marché porté par l’accroissement du temps libre et les préoccupations de santé. Pour ma part, j’estime avoir une chance extraordinaire d’être un acteur sur tous les marchés du monde d’univers aussi différents que le vélo, le ski ou le snowboard, mais aussi le textile et le footwear, et de continuer à intervenir dans cet univers du sport passionnant et en mouvement perpétuel.
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Propos recueillis par Olivier Costil
Retrouvez cette interview en intégralité dans le numéro de mars 2015