Pouvez-vous nous présenter c0ntact Gaming ?
c0ntact Gaming a été créé par Drew McCourt en 2018. Nous gérons trois franchises :
• Paris Eternal qui évolue dans l’Overwatch League (sur le jeu éponyme édité par Blizzard Entertainment).
• Paris Legion, dans la Call Of Duty League (Activision).
• c0ntact, dans Flashpoint, la nouvelle League CS :GO (Valve).
Drew McCourt (fils de Franck McCourt, propriétaire de l’Olympique de Marseille, Ligue 1 conforama), a acheté la licence pour participer à l’Overwatch League et fondé Paris Eternal qui a disputé sa première saison en 2019 (14e position). La première approche a été de mettre sur pied une équipe exclusivement européenne. Cette première saison dans l’Overwatch League nous a permis de nous familiariser avec cet écosystème.
Nous avons fait évoluer notre vision, et au terme de 2019, nous avons recruté de façon différente : nous avons un nouveau general manager (NineK, ancien assistant coach de San Francisco Shock, champions 2019), un head coach (Rush) et quatre joueurs sud-coréens, dont SP9RK1E, jeune star de la discipline (17 ans et demi) qui incarne le futur de la compétition. SP9RK1E ne peut pas jouer avec nous pour le moment, puisque l’âge minimum pour évoluer dans la Ligue est de 18 ans. Il débutera en mai 2020. Cette règle d’âge est également appliquée dans la Call Of Duty League. Désormais, notre équipe est composée de cinq joueurs français, quatre sud-coréens, deux anglais et un portugais.
Combien de temps dure la carrière d’un joueur eSportif ?
Les joueurs peuvent jouer dans les Ligues où nous évoluons à partir de 18 ans. Combien de temps durent les carrières au plus haut niveau, c’est encore difficile de vraiment le déterminer, par contre il y aura forcément des évolutions dans les entraînements, dans les infrastructures, qui pourront permettre aux joueurs de prolonger la durée de leur activité. Aujourd’hui, des joueurs issus des sports traditionnels performent jusqu’à plus de 35 ans, ce n’était pas le cas avant. L’environnement autour du joueur et les méthodes de travail ont évolué. L’eSport évoluera à ce niveau-là lui aussi.
Où est basé c0ntact Gaming ?
c0ntact Gaming a des bureaux à Paris, New York et Los Angeles. Cette année, les équipes sont encore aux États-Unis (New Jersey pour Paris Eternal et Californie pour Paris Legion). Dès la saison 2021, l’objectif est d’installer les équipes à Paris et de créer une gaming house qui sera à la fois un centre de performance pour nos équipes professionnelles et une académie pour le développement des joueurs des équipes Challengers (Call of Duty) et Contenders (Overwatch). Une partie de cette gaming house sera ouverte au grand public. Des villes de banlieue parisiennes sont très ouvertes à l’eSport, nous allons surtout regarder de ce côté. L’idéal serait évidemment d’être situé près de l’aéroport Paris-Charles De Gaulle (Roissy, Seine-Saint-Denis).
L’idée de votre implantation à Paris est une demande de la part de Blizzard-Activision, ou une volonté de Drew McCourt ?
Non, l’idée vient de Drew McCourt. Il a choisi Paris pour être la première franchise continentale européenne. De plus, il s’agit d’un marché beaucoup plus grand et beaucoup plus porteur que celui d’une autre ville américaine. Par ailleurs, si d’ici quelques années il y a trois ou quatre équipes continentales supplémentaires, ce sera une très bonne chose.
Où disputez-vous vos rencontres ?
Nous louons des salles pour nos événements eSport. Nous allons organiser des rencontres de Paris Eternal les 11 et 12/04, 09 et 10/05 et 13 et 14/06/2020 au Zénith Paris - La Villette (XIXe arrondissement). 70 % des billets ont déjà été vendus, alors que ces événements se déroulent dans plusieurs semaines (billets de 25 à 110 € pour les offres VIP). Paris Legion disputera ses rencontres à la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine) les 16 et 17/05/2020.
Comment se déroule l’organisation d’un évènement ? Combien d'équipes sont rassemblées ?
Le calendrier de l’Overwatch League ressemble à ce qui se fait dans le sport US : deux conférences (Atlantique / Pacifique). Chaque équipe affronte deux fois dans la saison les équipes de sa Conférence et une fois les équipes de l’autre Conférence, ainsi chaque équipe joue 28 matches de saisons régulière. Ensuite les meilleures disputent les playoffs et la Grande finale.
Huit équipes se déplacent dans une ville à l’occasion de chaque journée de championnat. Le format est particulier, puisque nous disputons d’un coup plusieurs rencontres. Cela donne lieu à un événement de grande ampleur. Le fan d’eSport ne va pas se déplacer pour ne voir qu’un seul match, il est plutôt dans une logique de festival. Par ailleurs, le format des rencontres à durée incertaine, à l’inverse du sport traditionnel, tend à valider ces regroupements de matches.
Le modèle de l’Overwatch League fait de vous un véritable organisateur d'événements ?
Oui et c’est la grosse différence avec tout ce qui existe dans l’eSport en Europe continentale : aujourd’hui, nous sommes le seul club européen à organiser nos propres matches. Dans toutes les autres ligues, l’organisateur est soit un éditeur, soit un producteur. Tout le concept de l’Overwatch League et de la Call Of Duty League est de dire ”Vous êtes un vrai club, donc vous allez organiser vos matches ” . Lorsque Bobby Kotick (PDG d’Activision-Blizzard) a lancé l’Overwatch League en 2018, beaucoup étaient sceptiques quant à ce format. Aujourd’hui, tout cela est concret et fonctionne très bien : il y a du public, de l’ambiance, de bonnes audiences …
Comment promouvoir ces événements ?
La communauté Overwatch League est extrêmement engagée, il y a peu de marketing supplémentaire à générerLorsque nous organisons un événement, il faut louer une salle, produire l’événement et assurer sa promotion. Pour l’Overwatch League, la Ligue exige des standards très importants en matière de production. Nous travaillons donc là-dessus pour produire un événement qui entre dans le business model de l’Overwatch League. En termes de marketing, la communauté est extrêmement engagée. Il y a finalement peu de marketing à générer : il convient de raconter la bonne histoire au travers des réseaux sociaux.
Pour Call Of Duty, l’aspect marketing est plus compliqué puisqu’il s’agit d’un jeu très grand public, où il n’y a pas une seule communauté bien identifiée, mais une pluralité de profils. Il y a besoin de mettre des ressources marketing plus solides pour promouvoir cette compétition.
Comment gérez-vous vos réseaux sociaux ?
Nous allons prochainement instaurer notre propre content factory. Elle constitue un de nos enjeux stratégiques majeurs. Ce pôle va nous permettre de créer tout notre contenu de tous nos réseaux sociaux afin de pouvoir parler aux fans de nos trois équipes. Nous voulons que nos supporters s’y retrouvent dans cette architecture, malgré l’idée reçue qui dit qu’il n’y a pas de porosité entre les différentes communautés eSport.
Qu’apporte le modèle de ligue fermée (entrée payante dans la ligue, pas de relégation, partage des revenues au sein de la ligue…) ?
La plupart des propriétaires des franchises de ces ligues détiennent une franchise de sport USL’ambition de Blizzard-Activision est de dire ”créons une vraie compétition qui donne des rendez-vous réguliers dans laquelle le public local peut s’identifier à son équipe”. Cela prendra du temps, évidemment. La force du système est la nature des gens qui ont investi pour acheter des franchises. Si on regarde les détenteurs des franchises eSport dans ces ligues, la plupart d’entre eux ont déjà été propriétaires, ou le sont encore, de franchises de sport US (NBA, NHL, NFL, MLB). Ces personnes connaissent parfaitement ce système, c’est peut être moins le cas en Europe.
Ce modèle-là est très simple à aborder, il n’y pas de surprise quant à son fonctionnement : on achète un droit que l’on exploite pendent une certaine durée en essayant d’être à l’équilibre le plus possible et un jour on revend. Pourquoi revendre ? Parce que les franchises prennent de la valeur grâce au système de ligues fermées : il y aura au maximum 28 équipes pour l’Overwatch League, et 20 pour la Call Of Duty League, tout cela est déjà bien établi. Le jour où un investisseur veut posséder une équipe, il est obligé de racheter l’organisation à quelqu’un, ainsi la valeur mécanique augmente. Ces propriétaires ont déjà fait ça dans d’autres sports, ils savent que cela fonctionne.
C’est également la force de l’éditeur (Blizzard-Activision). Ils ont réussi à intéresser des investisseurs sérieux, riches, qui ont déjà l’expérience du sport à l’américaine. Sur les 12 équipes qui font la Call of Duty League, neuf sont également propriétaires d’une franchise d’Overwatch League. Cela montre que ces propriétaires ont confiance dans ce modèle. Drew McCourt est venu dans l’eSport pour ce business model : avant cela, il considérait qu’il n’y en avait pas, à part celui d’investir chaque année en qualité d’actionnaire principal, un système qui pour lui n’était pas viable.
La problématique d’un club eSport aujourd’hui est de savoir comment un club peut survivre en dehors des investissements réguliers de son actionnaire. Le business model que propose Blizzard Activisition est celui de créer une mécanique différente.
Ce système américain influe également sur la politique des salaires …
Le modèle économique américain est très intéressant. Il existe un salaire minium, fixé par la ligue (environ un minimum de 50 000 $ par an / joueur, soit 45 000 €, selon les informations de News Tank), qui permet de protéger les joueurs. De plus, la ligue met en place un salary cap, qui évolue tous les ans en fonction de l’évolution des revenus perçus. Le modèle est similaire à celui des sports US.
À la différence de la NBA, il n’y a pas de luxury tax, on ne peut pas dépasser le salary cap. Comme il s’agit d’une ligue fermée, tous les meilleurs joueurs professionnels du jeu en question vont forcément dans ces ligues. Donc le salary cap n’est pas un problème.
Allez-vous lancer d’autres équipes sur d’autres jeux vidéo ?
Nous regardons ce qui se passe sur le marché : si nous nous apercevons que sur certains jeux, il y a des business model qui peuvent fonctionner, nous pourrons nous projeter et monter une nouvelle équipe.
La dimension compétitive est-elle désormais au cœur de la réflexion des éditeurs de jeux vidéo ?
L’adaptation des jeux peut être problématique. Mais de plus en plus, les éditeurs prennent conscience que l’eSport est une composante essentielle du jeu vidéo qu’ils proposent. Avant, les éditeurs proposaient de l’eSport si la communauté s’était emparée du jeu au point de le rendre populaire sur la scène compétitive. Désormais les éditeurs sont imprégnés de cette donnée et proposent des produits dirigés pour l’eSport.
Votre stratégie merchandising repose-t-elle sur de la vente de maillots ?
Notre réflexion est plus portée sur les produits que nous proposons que sur les maillots en eux-mêmes. Je ne suis pas convaincu que faire un maillot comme une équipe de sport traditionnel soit la meilleure représentation d’une équipe eSport.
Oui, il y du merchandising à faire : au niveau de la Ligue, les sponsors développent des produits très standardisés, comme aux États-Unis, où les couleurs et les logos adossés changent en fonction des franchises. Mais nous sommes en discussion avec la Ligue pour expliquer qu’en Europe, ce schéma ne fonctionne pas forcément. Il faut faire des produits destinés aux fans. Nous sommes une ligue globale, nous ne pouvons pas appréhender tous ces aspects avec l’œil américain.
Aujourd’hui nous ne sommes que deux teams européennes (Paris Eternal et London Spitfire dans l’Overwatch League, Paris Legion et London Ravens dans la Call of Duty League). Devenir une ligue globale ne signifie pas avoir des équipes partout, mais plutôt qu’on sait faire du local dans le global. La Ligue le comprend et y répond. Mais tout ce système est jeune, cela évoluera.
Quid de votre stratégie sponsoring ?
Nous avons notre propre politique de sponsoring. La Ligue dispose d’accords globaux, et nous derrière, nous sommes libres d’établir notre propre hiérarchie de sponsors. Le sponsoring dans l’eSport est assez complexe : de plus en plus d’annonceurs non endémiques s’y intéressent, ils se trouvent devant un paysage extrêmement divers et un peu confus pour quelqu’un qui ne s’y connait pas vraiment, et ils ont du mal à s’y retrouver. Un annonceur peut se dire ”je veux sponsoriser dans l’eSport”, mais cela revient à dire ”je vais faire du sponsoring dans le sport”. On a donc un travail d’éducation à faire vis-à-vis des annonceurs pour qu’ils comprennent quelles sont les différentes possibilités (partenaire de Ligue, partenaire de club, où le club évolue…).
La réalité du sponsoring dans l’eSport, c’est que nous nous adressons à une cible que personne d’autre n’arrive à atteindre aujourd’hui. Pour des marques qui veulent s’adresser au 15-34 ans, un public largement masculin, il n’y a pas de meilleur vecteur.
Nous sommes convaincus que nous disposons d’un très bon produit, le sponsoring va forcément se développer. Nous travaillons avec Nielsen Sport qui fait la valorisation de tous les dispositifs que l’on propose. Nous disposons d’une grande flexibilité puisque nous sommes chez nous, c’est notre club, et d’ici 2023-2024, nous aurons notre propre salle.
Où en êtes-vous de votre projet d’arena ?
Nous sommes en discussion avec plusieurs partenaires potentiels qui sont, soit sur un projet déjà annoncé soit sur un projet en réflexion. Par ailleurs, nous avons les moyens de construire nous-même notre arena si nous le désirons. Elle devrait se situer en proche banlieue parisienne.
Comment jugez-vous l'évolution des droits TV des compétitions eSport ?
C’est assez paradoxal de se dire qu’un domaine aussi novateur que l’eSport travaille ses droits médias d’une façon aussi classique. Pourquoi ne pas réfléchir à autre chose. Par exemple les chaînes OTT peuvent être des solutions très intéressantes pour créer de la valeur.