« Le double projet de former des hommes autant que des joueurs de rugby a été une obligation pendant une centaine d’années en France quand le rugby était un sport amateur. Depuis l’apparition du rugby professionnel en 1995*, ce projet a été oublié. La formation du joueur a pris le pas sur la formation de l’homme. Il faut remettre la double formation au centre de notre sport. C’est ce que nous faisons au Stade Français avec le centre de formation », déclare Thomas Lombard, directeur général du Stade Français Paris Rugby (Top 14), à News Tank, le 21/04/2021.
« La formation est un sujet prioritaire. Le centre de formation du Stade Français accueille 30 jeunes de 16 à 22 ans, gérés par un staff de 17 personnes dirigé par Pascal Papé, avec un budget d’1,5 M€ que nous souhaitons porter à 1,7 M€, au service de notre ambition : former des hommes complets, qui devront réussir leur vie professionnelle aussi bien que leur carrière de sportifs de haut niveau, à travers un parcours d’excellence qui regroupe à la fois le sportif, le scolaire et le social », poursuit le dirigeant.
Politique de formation au sens large, conquête de nouveaux publics, RSE (le Stade Français est devenu en février 2021 le premier club sportif, toutes disciplines confondues, à obtenir pour sa politique RSE la certification Afnor ISO 26000…), Thomas Lombard répond aux questions de News Tank.
« Je veux promouvoir un système où le rugby aide chacun à réussir la vie professionnelle qui démarre après la carrière sportive » (T. Lombard)
Pourquoi pensez-vous que la formation des rugbymen doit inclure les études autant que le volet sportif ?
Les clubs ont investi massivement dans les centres de formation et veulent rentabiliser leurs investissements. Cela a entrainé une dérive : les jeunes sportifs vivent entre eux, quasiment dans ce seul lieu de vie. Pour caricaturer, ils passent du terrain à la salle de musculation, via la salle de cours, mais elle est souvent la dernière roue du carrosse. C’est un problème car ils vivent dans une bulle. Avec cette consanguinité pendant leur formation, ils perdent le contact avec le monde réel, celui des gens normaux qui ne vivent pas en se projetant dans un contrat de sportif de haut niveau, gagnant 15 ou 20 000 euros par mois. Avec les centres de formation, on a beaucoup perdu la capacité à s’enrichir culturellement.
Autre problème : les études y passent toujours après le sport. « Va faire une séance de musculation supplémentaire, tu pourras toujours rattraper le cours plus tard ». Résultat des courses, le taux de réussite au bac des jeunes des centres de formation est tout simplement catastrophique. En 2018, il était de 46 % contre 90 % en moyenne au niveau national.
Pourquoi est-ce plus encore plus nécessaire aujourd’hui qu’il y a 25 ans ?
Parce que depuis une vingtaine d’années, le rugby est devenu un ascenseur social. De plus en plus de jeunes des banlieues le pratiquent. Aujourd’hui, au sein de l’équipe de France, il y a des jeunes d’origines très diverses. Ceux qui viennent des « quartiers » ont souvent des parcours de vie cabossés. Il faut prendre en en considération leurs origines et ce qu’ils ont vécu. Et prendre conscience que leur avenir, c’est demain. Avec l’argent de leur contrat de jeune joueur professionnel, ils subviennent souvent aux besoins de leur mère, isolée, et de leur famille. Nous devons donc avoir la volonté de leur offrir autre chose qu’un avenir à court terme. Une carrière sportive est courte, de 5 à 10 ans. Ensuite il leur reste les deux tiers de leur vie à accomplir.
Notre responsabilité est de les accompagner dans cette prise de hauteur. Cela passe par le fait que réussir ses études n’est pas une option, mais une obligation. Je veux donc promouvoir un système qui s’inspire de ce qui se faisait dans le passé, à l’époque de l’amateurisme, où le rugby aidait les jeunes à grandir, à devenir des hommes, avec des valeurs, ne laissait personne au bord de la route et aidait chacun à réussir la vie professionnelle qui démarre après la carrière sportive.
Votre constat est identique à ce qu’il se passe dans d’autres sports, notamment le football…
Oui et on a justement perdu ce qui faisait la singularité du rugby, c’est-à-dire les modèles.
Les jeunes veulent faire comme les pros, tout miser sur le rugby, zapper l’étape des diplômes. Il faut donc recréer des modèles auxquels ils s’identifieront, des joueurs qui aient réussi à mener de front études et sport de haut niveau. Il nous faut des ambassadeurs et des pionniers.
Êtes-vous inspiré par ce que vous avez vu en Angleterre, où vous avez joué pendant trois saisons, de 2004 à 2007, aux Worcester Warriors ?
Bien entendu. Le modèle éducatif anglo-saxon accorde une part au sport sans commune mesure avec celle existant en France, malheureusement pour nous. Les Anglo-Saxons peuvent pratiquer le rugby de haut niveau dans le cadre de leurs études. Chez nous, en 2000, l’équipe de France universitaire était l’antichambre du XV de France. C’est fini, plus aucun joueur professionnel n’en fait partie. Et les responsables recrutement des clubs ne viennent pas repérer des pépites chez les universitaires.
En Angleterre, Oxford - Cambridge en rugby se joue chaque année à Twickenham devant plus de 20 000 personnes, quand son équivalent en France ESCP / Sciences Po Paris se déroule dans l’anonymat. Sans oublier que la mise en valeur des joueurs modèles est bien plus forte en Grande-Bretagne qu’en France.
Comment cela se passe-t-il au Stade Français ?
La formation y est un sujet prioritaire. Elle est le premier mot du triptyque définissant notre nouveau projet : « Former, Rassembler, Innover ». Et elle s’inscrit logiquement dans notre politique RSE qui vient d’être labellisée par l’Afnor.
Le centre de formation accueille 30 jeunes de 16 à 22 ans, gérés par un staff de 17 personnes dirigé par Pascal Papé, avec un budget d’1,5 M€ que nous souhaitons porter à 1,7 M€, au service de notre ambition : former des hommes complets, qui devront réussir leur vie professionnelle aussi bien que leur carrière de sportifs de haut niveau, à travers un parcours d’excellence qui regroupe à la fois le sportif, le scolaire et le social.
Concrètement ?
Nous définissons avec chaque jeune son projet de développement qui inclut à parité un parcours d’études et sa carrière sportive. Selon le projet et l’âge du jeune, nous signons un accord avec un établissement du secondaire, une université ou une école supérieure. Dans tous les cas, les frais de scolarité sont pris en charge par le Stade Français. Quel que soit son projet, même s’il est rare et spécifique, nous essayons de trouver le bon établissement qui peut assurer la formation du jeune. Et les cours ont lieu dans l’établissement, pas dans notre centre de formation. Il faut dire que nous n’aurions pas les m2 nécessaires, et nous ne les aurons jamais compte-tenu du prix du foncier dans le XVIe arrondissement de Paris. Mais c’est un mal pour un bien. Cela favorise les liens avec le monde extérieur.
Le cursus (contenu, suivi, évaluation) est donc individualisé et des buts clairs leur sont fixés concernant l’entraînement et la compétition, afin que chacun devienne acteur de sa formation. Des intervenants spécifiques, encadrement professionnel et joueurs de l’équipe première, conseillent les jeunes. Mais la formation n’est pas négociable et que nous leur demandons de performer autant sur le terrain que dans leurs études. On a même réussi à raccrocher le rugby aux études avec une annotation « formation rugby » (implication, sérieux…) dans le bulletin trimestriel, qui permet de donner une photographie globale du parcours.
Depuis le 23/03/2021, vous êtes membre du comité directeur de la Ligue Nationale de Rugby en qualité de représentant des clubs de Top 14 et vice-président chargé du développement économique et de l’innovation. Quels sont vos dossiers ?
Nous avons une réflexion majeure sur la captation des nouveaux publics. Le rugby doit élargir sa fan base. A la fin de la pandémie, quand les gens vont pouvoir se réunir à nouveau, aller dans les stades, regarder des matches entre amis à la maison ou dans les bars, il faudra que le rugby soit présent avec des offres attractives. Ces offres devront évoluer vers davantage de digital. Le public du rugby a entre 30 et 55 ans. La cible des 18-30 ans n’est pas assez représentée. Pour la capter, il faudra inventer des formats digitaux qui racontent des histoires, qui scénarisent, qui accélèrent, qui séduisent ceux qui ne veulent pas rester assis deux heures devant leur télé pour regarder passivement un match.
Autre sujet, le sponsoring. Il faut rénover le modèle historique du chef d’entreprise qui fait un chèque pour avoir une loge et le logo de son entreprise sur le maillot.
Nous travaillons également sur le sujet de la RSE et du sport santé. Nous incitons les clubs à faire labelliser leur politique RSE par l’Afnor (Association française de normalisation). Pour donner du sens quand on va voir une entreprise pour lui proposer un partenariat de sponsoring, c’est aujourd’hui un atout majeur, voire indispensable.
Justement, le Stade Français a été en février 2021 le premier club sportif, toutes disciplines confondues, à obtenir la certification Afnor ISO 26000 pour sa politique RSE…
Oui, nous sommes très fiers d’avoir atteint le deuxième niveau sur une échelle de quatre. Cette évaluation confirme le bon niveau d’intégration de la RSE dans la stratégie et le management du club. C’est une première évaluation, six mois après le lancement en octobre 2020 du nouveau projet du club - Former / Rassembler / Innover - auquel la politique RSE est pleinement connectée. Pour l’obtenir, l’ensemble des parties prenantes du club, internes et externes, ont été interviewées pendant plus de six jours par des experts RSE de l’Afnor.
Nous devons encore progresser sur plusieurs axes : la déclinaison du projet global, la formalisation et le suivi de ses actions, ainsi que l’implication des différentes parties prenantes de ses communautés externes (partenaires, supporters, fournisseurs,…etc.) et internes (équipes sportives masculines & féminines et équipe administrative).
Notre politique RSE se poursuit autour de trois thématiques majeures :
• L’éducation
Le club veut proposer un double projet sportif et extra sportif auprès de toutes les catégories d’âges (masculines et féminines), grâce à « l’Esprit rose », une charte qui implique le joueur, au-delà du rugby, sur son projet éducatif, la prévention autour de la santé et son action citoyenne dans notre territoire, le XVIe arrondissement de Paris. L’éducation passe aussi par l’inclusion grâce aux relations nourries avec nos clubs partenaires et l’ensemble des acteurs du territoire. Enfin, nous voulons améliorer les outils, de l’hébergement aux terrains d’entraînement, et continuer à structurer les relations avec les grandes écoles et les entreprises pour développer la recherche de financements, partenariats ou stages.
• La santé
Nous allons formaliser nos relations avec l’IMSS (Institut Médical - Sport - Santé), inauguré en septembre 2019 dans l’enceinte du Stade Jean Bouin. En ligne de mire, être un acteur du sport/santé au service de ses communautés.
• L’environnement
Le Stade français va faire réaliser son bilan carbone. Des actions de sensibilisation de nos communautés sont également au programme.