EXTRAIT DU MAG : « Il faut en finir avec les poncifs, et expliquer que la maternité est parfaitement conciliable avec une carrière de joueuse de football »
Depuis plusieurs années, la FFF est résolument engagée en faveur du développement du football féminin. Pour structurer la discipline, et améliorer les conditions d’exercice de la pratique, l’instance souhaite revoir en profondeur le statut des joueuses. Les précisions de Frédérique Jossinet, directrice du Football Féminin à la FFF.
Sport Stratégies : Frédérique Jossinet, est-ce que la maternité des joueuses est un sujet pour la FFF ?
Frédérique Jossinet : La féminisation du football est l’une des priorités de notre fédération, et naturellement la maternité est l’un des leviers de cet enjeu. Nous travaillons d’ailleurs sur le statut des joueuses, de façon à consolider leurs droits. Cela dit, notre champ d’action est limité par le caractère tripartite fédération/club/joueuse, qui encadre les conditions d’exercice des athlètes.
En d’autres termes, en tant que fédération, nous n’avons qu’un droit de regard, et c’est aux clubs de prendre toutes les dispositions nécessaires pour accompagner les joueuses, à la fois en termes de performance, en matière de suivi médical, ou encore sur le double projet de reconversion des joueuses…
Nous devons toutefois être moteur, c’est pourquoi nous travaillons activement sur un projet social du football féminin de demain. L’objectif est d’œuvrer en faveur d’un statut sécurisant et adapté à la pratique de haut niveau. Le rôle des clubs sera fondamental ; ils doivent montrer l’exemple, peut-être même plus sur le sujet de la maternité.
Nous savons que la prise de conscience est lente, mais nous observons un nouvel élan. En témoigne l’Olympique Lyonnais qui s’est dernièrement publiquement réjouit de la grossesse de Sarah Bjork Gunnarsdottir, en assurant que tout serait mis en oeuvre pour assurer son retour par la suite.
S.S : Comment la Fédération peut-elle encourager les joueuses à franchir le pas de la maternité ?
F.J : Nous assistons, il me semble, à une vraie prise de conscience sur le sujet. Longtemps taboue, la maternité est désormais abordée avec plus de facilité. Il est toutefois nécessaire d’améliorer la communication, et d’entreprendre une démarche pédagogique avec les sportives. Il faut en finir avec les poncifs, et leur expliquer que la maternité est parfaitement conciliable avec une carrière de joueuse de football. Même si les exemples ne sont pas légion, certaines joueuses ont osé ce pari, et peuvent devenir prescriptrices.
Au-delà de cette approche pédagogique, il convient également de les aider dans la définition de leur projet de grossesse. C’est une décision personnelle qui doit aussi être réfléchie, sous peine de nourrir des regrets et/ou remords, sans compter qu’elles doivent composer avec leur horloge biologique.
Il faut vraiment que les instances et les clubs opèrent un travail pédagogique en profondeur, et investissent sur les ressources d’accompagnement. Pour le comprendre, il suffit d’observer la pénurie de spécialistes dédiés à la grossesse des sportives. En l’occurrence, s’il existe de nombreux médecins et chirurgiens du sport, la gynécologie du sport est, elle, très confidentielle…
S.S : Les instances ont donc un rôle central à jouer ?
F.J : Oui, car c’est un défi sociétal. Il ne s’agit pas uniquement de maternité, derrière cet enjeu, le but est aussi de valoriser la place de la femme en tant que sportive. Les instances publiques, qu’elles soient fédérales ou gouvernementales, doivent s’emparer du sujet et avancer main dans la main, car il y a tout à faire.
Tous les pays n’ont pas le même degré de maturité sur ce sujet, et nous pourrions d’ailleurs nous inspirer de certains modèles. Aux États-Unis, par exemple, toute une mécanique logistique est prise en charge lorsque l’Équipe nationale se déplace sur une compétition internationale. Ainsi, les joueuses peuvent être accompagnées par des médecins spécialistes comme des pédiatres, mais aussi des nounous qui assurent la garde de leurs enfants.
S.S : Un club comme l’Olympique Lyonnais peut-il être locomotive sur ce sujet ?
F.J : Absolument. D’ailleurs, le soutien affiché par le club auprès de Sarah Bjork Gunnarsdottir n’est pas si surprenant. Ce type d’annonce va dans le sens de l’Histoire. L’OL a toujours été précurseur et se montre exemplaire sur un grand nombre de sujets relatifs au statut des joueuses.
Évidemment, lorsqu’un club iconique et performant ose, cela peut avoir une répercussion positive et alerter les autres clubs et fédérations sur la nécessité d’agir à leur tour. Encore une fois, cet enjeu est le reflet d’une préoccupation sociétale. Les langues se délient, les athlètes hésitent moins à pointer du doigt le manque de couverture ; il est donc temps que les clubs se mettent aussi au diapason.
S.S : Le handball français s’est dernièrement emparé du sujet en créant une convention collective qui protège davantage les joueuses de LBE… Est-ce que la FFF compte s’en inspirer ?
F.J : Le handball donne en effet le la, et ce type de convention a également été signé par l’association des joueuses espagnoles de football. Nous n’en sommes pas encore à ce stade, mais ces avancées sont évidemment inspirantes. Ce sont des initiatives bienvenues que nous aspirons également à mettre en place.
Pour le moment, nous tâchons de définir une stratégie vertueuse à court et moyen terme, ce qui nous permettra de prendre les meilleures décisions. Nous avons à coeur que les statuts évoluent en travaillant sur le triple projet d’accompagnement des joueuses, de sorte qu’elles puissent s’épanouir pleinement dans leur activité sportive, anticiper leur reconversion, et se construire dans un équilibre familial sain.