Publié le 25 octobre 2021

EXTRAIT DU MAG : « SPORT FÉMININ, BEAUCOUP DE PROMESSES, PEU DE MOYENS ?», Laurence Benoist, Fondatrice, Les conseils de Laurence

Sportive oui, mais dans quelles conditions ? Si le sport féminin progresse en France, l’encadrement, l’accompagnement et la rétribution des athlètes sont encore très insuffisants. Le premier Paris-Roubaix féminin marqué par d’énormes écarts de primes a d’ailleurs mis en lumière cette réalité dissimulée. En rebond, Sport Stratégies est allé interroger Laurence Benoist, spécialiste de la question du développement du sport féminin. 

Sport Stratégies : Laurence Benoist, qui êtes-vous ?

Laurence Benoist : Diplômée en ingénierie, je suis à la tête d’une entreprise de conseils via laquelle j’accompagne dirigeantes et dirigeants sur différentes thématiques d’organisation managériale. À côté, ma vie extraprofessionnelle suit la même trajectoire d’encadrement depuis des années dans le milieu du sport. J’ai notamment été présidente d’un club de foot de R1 pendant six ans, ce qui m’a ensuite permis de prendre part au plan de féminisation du football, en intégrant le comité de féminisation mis en place par Brigitte Henriques, sous la présidence de Noël Le Graët.

Première présidente au sein de la Ligue d’Auvergne, j’avais la responsabilité de travailler sur la féminisation de l’ensemble du football, c’est-à-dire des joueuses aux arbitres, en passant par la composition des équipes dirigeantes. Mes faits d’armes « football » n’ont pas manqué de susciter l’attention du monde de l’ovalie, tant et si bien que j’ai fini par intégrer la délégation du XV de France féminin. J’ai accompagné pendant 3 ans jusqu’à l’été 2020 l’instance dans la facilitation des conditions d’exercice de nos joueuses : de la mise en place des contrats fédéraux à l’échange avec les collectivités territoriales lors des déplacements et à l’accessibilité aux infrastructures, jusqu’au développement de la visibilité des femmes du haut niveau.

S.S : En tant qu’experte de la question de la féminisation du sport, quel est votre regard sur le développement du sport féminin ?

L.B : La situation évolue, dans le bon sens. Le sport féminin n’est plus une question, mais une évidence. J’aime prendre en exemple l’hostilité revendiquée de Pierre de Coubertin à l’égard du sport féminin, pour démontrer la réelle progression de la pratique sportive en un siècle. Un énorme pas a été franchi en matière de prise de conscience : le sport n’est plus l’apanage des hommes. Notre société s’est adaptée pour ouvrir les portes et réserver le même traitement aux femmes et hommes. À titre d’exemple, nos joueuses de rugby disposent depuis quelques années de maillots avec des coupes ajustées. C’est un petit détail qui en dit long sur la reconnaissance de notre pratique.

De la même manière, nous pouvons souligner la féminisation progressive des instances, ou cette volonté de confondre les équipes de France homme et femme dans un ensemble commun, en témoignent les révélations et photos mixtes. Ceci dit, le dessin n’est pas encore parfait. Il nous faut encore progresser sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne l’accès à la pratique. Les freins sont encore nombreux, il est crucial d’accompagner les clubs dans leur dotation en équipements, en terrains, l’augmentation de leurs heures d’ouverture pour faciliter l’activité des femmes. C’est un travail chronophage qui s’opère lentement ; encore faut-il s’en donner les moyens.

S.S : Parlons de moyens justement. De toute évidence, l’ensemble du mouvement sportif semble œuvrer pour le développement de la pratique féminine, mais comment expliquer des écarts notoires de rétribution entre hommes et femmes au sein d’une même discipline ?

L.B : C’est une question épineuse à laquelle il convient de répondre avec discernement, en dissociant bien salaires et primes. Les raisonnements sont
différents. Une prime correspond à une rétribution ponctuelle souvent liée à un parcours en compétition, là où un salaire est relatif à une politique managériale rationnelle de long terme.

Concernant les primes, l’écart entre hommes et femmes me semble de plus en plus curieux, dans la mesure où il est extrêmement simple pour les fédérations de mettre en place une équité des primes. C’est même une question de bon sens, dans la mesure où une instance représente l’ensemble des athlètes, et qu’elle n’a qu’à répartir l’enveloppe dédiée de façon paritaire. La Fédération de Football américaine, ainsi que l’instance irlandaise ont montré la voie. Il est grand temps que nous nous en inspirions.

S.S : Et concernant les salaires, quel est le problème ?

L.B : Je vois deux raisons. La première, incontestable, est liée aux revenus générés par les hommes, qui concentrent plus d’audience, donc plus de droits
TV, et plus de sponsors. L’équitation est presque mathématique. Pour autant, c’est un peu le serpent qui se mord la queue. En effet, si les médias se prêtaient véritablement aux droits TV des sports féminins, ils augmenteraient leur visibilité et participeraient à la revalorisation des audiences.

La Coupe du monde de football féminine a bien prouvé que les Bleues pouvaient fédérer un large public. Par ailleurs, j’ai le sentiment que l’écart notoire entre hommes et femmes s’explique en partie par le double projet. Évidemment, les sportives féminines souhaiteraient un salaire plus représentatif de leur pratique, mais elles désirent surtout préparer l’avenir. La plupart des athlètes travaillent en parallèle, par prévoyance, car elles refusent de tout miser sur leur carrière sportive.

En d’autres termes, faute d’avoir l’embarras du choix, derrière le combat des salaires, elles luttent surtout pour l’amélioration de leurs conditions de pratique, pour pouvoir préparer leur après-carrière plus sereinement, sans avoir de sacrifice à faire. Certaines fédérations se sont déjà saisies de ces enjeux. Je pense à la FFH, qui a créé une convention collective avec l’union des clubs et l’association des joueuses.

A.S.O. a organisé début octobre le premier Paris-Roubaix féminin. Une belle initiative écorchée par un énorme écart de prime entre les lauréats masculins et féminins… Doit-on conclure qu’A.S.O. a fait les choses à moitié ?

L.B : Rien n’est jamais parfait ; évidemment, je déplore l’iniquité des primes mises en place sur cette course. Pour autant, avant de cibler l’organisateur, il faut s’attarder sur la nature du projet et les échéances des objectifs. Me concernant, je préfère me concentrer sur l’approche globale d’A.S.O. qui s’efforce de lever les freins à l’accessibilité du cyclisme et de favoriser la pratique féminine. Nous pouvons toujours douter de la sincérité des actions des uns et des autres, y voir une part d’opportunisme, mais j’estime que c’est une pierre suffisamment fondatrice pour être saluée. Par ailleurs, l’histoire de la féminisation du sport sera forcément corrélée à des intérêts économiques. C’est la loi du marché. Il y a aujourd’hui 52% de femmes en France, c’est-à-dire autant de profils qui peuvent devenir des cibles stratégiques.

S.S : Reprenons l’argument économique selon lequel les hommes rapportent plus grâce aux droits TV et sponsors. Cette réalité serait-elle cultivée par le système ?

L.B : En partie oui. Pour le comprendre, il faut savoir prendre un peu de recul. Quelle que soit la thématique, le volet économique est le moteur de notre fonctionnement. Il sera toujours présent, mais ces paramètres peuvent et doivent évoluer. Pour ce faire, les médias devront prendre des risques afin
d’augmenter la visibilité du sport féminin, et donc indirectement l’attrait et l’audience. Il faut de la conviction et du courage évidemment, mais rien
n’est impossible.

D’ailleurs, certains dirigeants de grands médias le savent, pour preuve France Télévisions a pris le risque de diffuser la Coupe du monde 2017 de rugby féminin. Résultat, le pari a été réussi puisque les audiences ont été au rendez-vous. Les médias occupent une position centrale dans la mécanique économique du sport féminin. Ils ne peuvent pas s’emparer de ce combat à eux seuls, mais ont au moins la possibilité d’enclencher un processus vertueux.

S.S : L’existence médiatique est donc la clé de voûte du sport féminin ?

L.B : Pas seulement. C’est une pierre essentielle, mais il y a beaucoup d’autres actions à mener en parallèle. Comme évoqué, le développement du sport féminin est un combat de tous les instants, qui exige d’être aux aguets. Si la cause avance, la bataille est loin d’être gagnée, nous ne sommes pas à l’abri d’un retour en arrière. La moindre excuse peut devenir un prétexte pour reculer. Nous le constatons avec la Covid-19 et les coupes budgétaires justifiées de part et d’autre par la nécessité de faire des économies.

Il faut aussi gommer le conservatisme présent dans un certain nombre d’instances. Nous devons encore parcourir un long chemin ; pour gravir cette montagne, nous devrons y aller pas à pas. À mon sens, il faut déjà passer du temps pour faciliter l’accès aux pratiques et garantir un meilleur accompagnement financier. L’idée est de construire une pyramide avec une base solide, cimentée par une multitude de petites actions. C’est à ce prix que nous entraînerons un maximum d’acteurs dans la boucle du sport féminin, dont les plus hautes instances. Au-delà des fédérations, l’impulsion doit aussi venir du gouvernement et du ministère des Sports.

S.S : Que peut faire le ministère ?

L.B : Le ministère a déjà beaucoup œuvré en faveur de la féminisation. Il veille de près à ce que les conditions de pratiques soient facilitées pour démocratiser durablement l’activité sportive des femmes. Le ministère pourrait toutefois aller plus loin, en entérinant un projet national sur une redistribution équitable des primes dans toutes les instances. Par ailleurs, je suis inquiète des politiques publiques mises en place dans certaines collectivités territoriales. Je constate que trop de budgets alloués au sport ne sont pas à la hauteur des ambitions évoquées par le gouvernement. J’ai bien conscience que la crise a entraîné quelques arbitrages ; pour autant, les collectivités ne doivent pas se déresponsabiliser de l’accès au sport. Elles sont garantes du dynamisme sportif de leur territoire, ont le devoir d’optimiser les dotations, d’autant plus dans la perspective de Paris 2024.

Créer une section féminine dans un club ne se fait pas d’un claquement de doigt. C’est une initiative qui exige davantage de ressources humaines et du matériel supplémentaire. Autant de charges qu’un grand nombre de clubs ne peuvent se permettre sans être accompagnés.

Propos recueillis par Alexis Venifleis

 

 

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