« Dans notre étude sur le sport féminin, outre le fait de capitaliser sur de grands évènements et d’investir en amont, sur la question des droits, nous avons mis en avant la nécessité de traiter les actifs féminins à part entière pour leur redonner de la valeur », déclare Sacha Brunet, consultante au sein de l’agence de marketing sportif Two Circles, à News Tank le 04/01/2022.
« Les revenus générés par le sport féminin en France augmenteront de 89 % sur les cinq prochaines années (contre 5 % entre 2016 et 2021), pour atteindre 553 M€ en 2026 », indiquait Two Circles dans une étude sur le développement économique du sport féminin de haut niveau réalisée avec Sporsora et publiée le 09/12/2021.
« Pour projeter cette croissance du sport féminin en France, nous avons noté trois dynamiques porteuses :
• le potentiel de croissance des détenteurs de droits (sponsors et médias) et des revenus matchday, soit la possibilité de réaliser un potentiel commercial et de générer des revenus à la hauteur de la valeur sportive ;
• le fait que la France, avec la D1 Arkema par exemple, soit sur le même chemin de croissance que l’Angleterre ;
• les JO de Paris 2024 qui, au milieu de cette période de cinq ans, vont servir de catalyseur de croissance », explique la consultante.
« Les investissements consentis en amont des Jeux Olympiques d'été de Londres en 2012 et la dynamique qui s’en est suivie expliquent en partie cette forte croissance du sport féminin au Royaume-Uni. Ils avaient pris la mesure en amont de cette opportunité », ajoute Sacha Brunet, qui répond aux questions de News Tank et compare notamment les modèles sportifs féminins français et britannique.
Comment expliquez-vous que la sportive préférée des Français plébiscitée par votre étude soit la nageuse Laure Manaudou, retraitée depuis 2013 ?
Dans notre Top 20 figurent six retraitées, avec un Top 5 qui se détache largement au niveau des mentions, où ne figure qu’une seule retraitée. La question posée par notre étude était une question ouverte. Il est donc assez logique de retrouver des athlètes qui ont marqué les esprits par leurs performances, qui restent dans l’imaginaire des gens parce qu’elles ont fait la Une des journaux ou que leurs exploits ont été télévisés. On parlait aussi moins de sport féminin à cette époque.
On peut imaginer que si l’on repose la question dans cinq ans, vu la diversification des contenus créés autour du sport féminin et des athlètes en carrière, les retraitées soient moins présentes ou moins hautes dans ce classement.
Pourquoi peut-on être à ce point optimiste pour la croissance du sport féminin en France ?
Pour projeter cette croissance du sport féminin en France, nous avons noté trois dynamiques porteuses. Il y a d’abord le potentiel de croissance des détenteurs de droits (sponsors et médias) et des revenus matchday, soit la possibilité de réaliser un potentiel commercial et de générer des revenus à la hauteur de la valeur sportive.
On pense ensuite que la France, avec son championnat de football féminin par exemple, est sur le même chemin que celui de l’Angleterre (Barclays FA Women’s Super League) en termes de croissance mais avec quelques années de retard. Forte d’un contrat important de droits TV signé avec Sky et la BBC pour ce championnat, la Fédération anglaise vient de signer un accord record de naming avec la banque Barclays, ce qui montre bien qu’il est possible de capitaliser. L’Angleterre utilise aussi l’échéance que constitue l’Euro féminin 2021, reporté et organisé en Angleterre du 06 au 31/07/2022.
Enfin, nous pensons qu’avoir les JO de Paris 2024 au milieu de cette période de cinq ans va servir de catalyseur de croissance. Nous notons les efforts faits pour qu’ils soient les premiers JO paritaires de l’histoire.
Nous avons pu constater également un engouement post-Coupe du monde féminine 2019, tant en termes d’affluence et d’audience, que de nouvelles pratiquantes. La crise du Covid a ensuite constitué un coup d’arrêt pour cette dynamique : la D2 féminine a notamment subi deux arrêts de son championnat, en 2019-20, et pendant une grande partie de la saison 2020-21, une saison quasi-blanche. On notera aussi la descente de la section féminine de l’AS Nancy Lorraine de D2 au niveau régional en 2021-22 faute de moyens à cause de la crise sanitaire.
Il faut noter que les chiffres mis en avant dans notre étude pour 2021 ne correspondent pas à une année pleine. Avant la pandémie de Covid-19, qui a fortement impacté le secteur, en 2019, nous étions déjà à un niveau de revenus supérieur à ce chiffre de 2021. On peut donc légitimement imaginer que la croissance du sport féminin reprenne, et que la crise ne constitue qu’une pause de croissance.
Comment expliquer une telle croissance du sport féminin au Royaume-Uni ?
Les investissements consentis en amont des Jeux Olympiques d'été de Londres en 2012 et la dynamique qui s’en est suivie expliquent en partie cette forte croissance du sport féminin au Royaume-Uni. Ils avaient pris la mesure en amont de cette opportunité.
Si l’on regarde du côté du football anglais, on peut aussi constater que la plupart des clubs du championnat féminin anglais sont adossés à des clubs professionnels masculins. Ces clubs n’ont pas d’obligation de créer une section, mais ils ont réalisé qu’il n’était plus possible de ne pas se lancer et investir, à l’image de Manchester United, venu certes tardivement au football féminin, mais avec des moyens de plus en plus importants. On note aussi les efforts de la Fédération anglaise de football pour mettre en avant son championnat et ses derbys lors des fenêtres internationales sans Premier League pour attirer de nouveaux publics.
Autre bel exemple de promotion dans le cricket anglais : le nouveau format du « The Hundred » mêlant matches masculins et matches féminins dans la programmation avec la même mise en avant, ce qui a engendré de belles retombées en termes de visibilité pour le cricket féminin.
Quelles leçons peut-on en tirer pour le marché français ?
Outre le fait de capitaliser sur de grands évènements et d’investir en amont, sur la question des droits, nous avons mis en avant la nécessité de traiter les actifs féminins à part entière pour leur redonner de la valeur. L’Olympique Lyonnais est à cet égard un bon exemple, poussant même la réflexion encore plus loin en considérant la possibilité de coupler les droits de la section féminine française avec ceux d’OL Reign (NWSL), leur franchise aux États-Unis. Ils ont en tout cas une approche 100 % féminine avec une communication, un staff dédié, etc.
La FIFA vient ainsi d’annoncer une refonte de sa structure commerciale qui comprend désormais des packages distincts de sponsoring pour l’esport et le football féminin.
Nous avons aussi pu parler au Paris FC dont la section féminine est issue de la fusion avec le club de Juvisy. Ils donnent la priorité à des packages de sponsoring égalitaires pour leurs trois sections (masculine, féminine et académie) : ils recherchent des partenaires prêts à apporter à chacune le même traitement en termes de dynamique et d’investissement.
En Angleterre, les droits des Coupes d’Angleterre hommes et femmes (FA Cup) ne sont plus vendus ensemble. Cela peut permettre de toucher, côté féminin, un diffuseur de moins grande ampleur, qui va vouloir valoriser davantage le sport. Cela est d’autant plus important que la TV est le meilleur vecteur pour attirer des fans.
Quels efforts doit consentir la France pour opérer ce rattrapage ?
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 seuls ne vont pas faire la différence si la dynamique n’est pas globale. Des fédérations essayent de mettre en place des choses, notamment celle du handball en France avec par exemple une prime paritaire accordée aux équipes de France.
Certains grands noms du football n’ont pas encore assez investi dans une section féminine : les sections de Lille et de Marseille sont ballotées entre D2 féminine et D1 Arkema. Certes, les retombées commerciales ne seront pas immédiates, mais si on investit, les sponsors suivront. Le sport féminin attire ainsi de nouvelles marques à l’image de Arkema ou des nouveaux sponsors de l’UEFA pour les femmes.
Les médias doivent aussi jouer le jeu en allant vers des contenus différenciant et la présentation d’histoire en dehors du récit purement sportif du direct.