Les planètes sont loin d’être alignées pour Pékin 2022… Mais ces Jeux devraient de toute façon faire date. En particulier car ils vont se dérouler dans un contexte fragilisé par des tensions politiques fortes couplées à un protocole sanitaire très rigoriste. S’il ne se tient pas dans les meilleures conditions, l’évènement a au moins la singularité d’être riche en enseignements. Et puis, des Jeux restent des Jeux. N’est-ce pas Magali Tezenas du Montcel ?
(Interview réalisée avant le début des Jeux d’hiver de Pékin 2022)
Sport Stratégies : A quelques jours de l’ouverture de la compétition, les JOP ne bénéficient que de peu de couverture médiatique… Ont-ils perdu leur flamme ?
Magali Tezenas du Montcel : La flamme olympique est une valeur sûre mais le contexte dans lequel se déroule ces Jeux olympiques et paralympiques d’hiver n’aide pas à la raviver. Le report des jeux d’été de Tokyo fait que seulement six mois séparent les deux éditions. Les partenaires, entre autres parties prenantes ont eu moins de temps pour relancer leurs activations.
Globalement le contexte sanitaire et les contraintes induites plombent l’ambiance avec des protocoles compliqués pour les athlètes et peu de spectateurs autorisés à assister aux épreuves. Le manque d’ambiance dans les enceintes ne favorise clairement pas le spectacle non plus !
Et le contexte politique n’est pas favorable avec de nombreuses polémiques sur les droits humains en Chine, le boycott de certains pays ou de leurs dirigeants ou encore plus récemment sur la liberté d’expression avec l’affaire de la joueuse de tennis Peng Shuai. On sait par ailleurs les Chinois peu attirés par les pratiques de sports d’hiver… Mais c’est aussi l’occasion inespérée de leur faire découvrir. Autant d’éléments qui ne mettent pas le public dans les meilleures dispositions vis à vis de ces Jeux olympiques et paralympiques de Pékin.
S.S : Entre boycott diplomatique, absences de certains sportifs et équipes, et protocoles sanitaires extrêmes, doit-on s’inquiéter de la bonne tenue de ces JO ? Seront-ils des JO au rabais, faut-il absolument sauver les meubles ?
M.TDM : Par respect pour les athlètes qui se préparent depuis des années pour participer à ces Jeux, tous les acteurs impliqués (partenaires, médias, mouvement sportif, état, grand public …) doivent les soutenir. On demande souvent beaucoup trop aux athlètes, notamment sur le sujet des droits de l’Homme.
J’ai personnellement beaucoup apprécié la position de Martin Fourcade expliquant que ceux qui demandent aux sportifs de boycotter les jeux ne boycottent pas eux-mêmes les produits fabriqués en Chine alors que cela aurait certainement moins d’incidence sur leur propre vie que sur celle des athlètes qui dédient la leur à cet objectif.
Certains athlètes de sports d’hiver vivent mal le fait que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 fassent passer au second plan ces Jeux d’hiver. Il est vrai que nos yeux se sont peut-être tournés un peu trop vite vers 2024. Mais je reste convaincue que le public sera présent sur France TV, Eurosport ou Radio France pour suivre les épreuves dans la mesure où les diffuseurs mettent les moyens éditoriaux nécessaires.
S.S : Compte-tenu de la faible résonance, les partenaires du CIO et des JOP peuvent-ils renégocier leur contrat pour cette épreuve ?
M.TDM : Je ne crois pas que les partenaires puissent renégocier leurs contrats qui sont des contrats à long terme. Je suis certaine que le CIO remplira ses engagements contractuels.
S.S : Ces JOP risquent-t-ils de devenir un fiasco économique et d’envoyer un mauvais message pour le monde du sport ?
M.TDM : Tout le monde est aujourd’hui bien conscient que les circonstances sont exceptionnelles. La pandémie a eu un effet sur tant de secteurs que l’on peut comprendre aisément que le bilan économique ne soit pas celui escompté. Par ailleurs, la grande force des Jeux c’est leur universalité et leur diffusion médiatique. Ce qui est préservé quel que soit le contexte.
En revanche au contraire du bilan économique qui pourra s’expliquer, je suis plus inquiète sur le sujet de l’environnement. Ce point-là va être plus compliqué à expliquer au grand public. Malgré les nombreux efforts réalisés : la réutilisation des équipements de Pékin 2008 (la piscine devient arène de curling, le palais omnisport de basketball et gymnastique devient terrain de hockey sur glace), les transports électriques ou à l’hydrogène, l’utilisation d’énergies renouvelables, ils seront peu tangibles pour le grand public. En revanche le sujet de la neige artificielle, certainement mis en évidence à la télévision, risque de générer quelques incompréhensions.
S.S : Quels seront les grands enjeux et leçons à tirer de ces JOP ?
M.TDM : La principale leçon à tirer est la grande ambivalence du sport ; d’une part sa puissance, son influence et le fait qu’il se fasse l’écho de tous les enjeux et maux de notre société et d’autre part que l’on soit prêt à le sacrifier sur l’autel de la bien-pensance. Alors qu’il est menacé de boycott par les politiques, ne devrait-il pas être neutre et non politisé ? Outil de soft power pour la Chine, n’est-ce pas aussi une opportunité pour son modèle économique ?
Il montre que sans aller jusqu’au boycott sa puissance médiatique permet de faire pression et de faire passer des messages essentiels à la vie de nos démocraties. Parce que nos publics recherchent de plus en plus d’authenticité, de sens il ne peut pas tricher. Malgré tout cela les Jeux restent les Jeux et nous aurons beaucoup de plaisir à nous délecter des images et exploits sportifs.