Sport Stratégies : Jean-François Royer, beaucoup d’événements sportifs qui se créent aujourd’hui misent sur la difficulté, l’exploit, le dépassement de soi. MB Race annonce l’une des courses VTT les plus difficiles au monde. La Bolovania, le raid le plus haut du monde. Ou encore, Le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe est qualifié de meilleure course équestre au monde… Autant d’arguments de vente selon vous ?
Jean-François Royer : Dans l’événementiel, les superlatifs sont des arguments de vente. Il est important de se différencier en créant une expérience exceptionnelle… Et l’exceptionnel étant la rareté par essence, l’événement prend une coloration unique dans son univers. Sur les disciplines aérobies on constate l’émergence de courses qui repoussent les limites à l’instar du triathlon et de ses Iron Man. On repousse toujours plus loin les distances, les dénivelés, les difficultés. Les compétitions traditionnelles adoptent les codes de l’aventure et surfent sur les valeurs de dépassement de soi. Pour ces événements sportifs traditionnels, il s’agit davantage de se démarquer et d’offrir une expérience rarissime, premium, unique. C’est un argument de vente aussi bien pour les spectateurs que les partenaires, en particulier sur les programmes d’hospitalités.
« Prendre part à un événement RedBull, c’est participer à une expérience anticonformiste »
S.S : D’ailleurs, peut-on parler d’un argument marketing ici ?
J.F.R : Cela fait partie du mix des événements. Le marketing émotionnel permet de créer un lien durable entre une audience et une marque et favorise l’engagement de l’audience. Les caractéristiques emphatiques dans la description des événements sportifs participent à la construction de valeurs de marque puissantes et donc une identité forte de la marque événement. RedBull est une des marques les plus engagées sur le registre du marketing expérientiel. Prendre part à un événement RedBull, c’est participer à une expérience anticonformiste. Chacun de ses événements se différencie grâce à un storytelling qui relève de l’exceptionnel, notamment au travers des sports extrêmes.
S.S : Le « toujours plus », séduit qui en priorité ? Les sportifs ? Les marques ?
J.F.R : Tous les publics ! Nous sommes dans une société de superlatifs ! Plus dangereux, plus difficile, inédit, extrême… Longtemps les sports extrêmes ont joui d’une mauvaise réputation auprès du grand public (et du mouvement sportif traditionnel) et l’on reconnaissait davantage le côté aventurier. Avec l’émergence des sports outdoors, l’attrait de la nature et le développement du matériel technique, les sports aventures/extrêmes se sont démocratisés. Et ce sont d’ailleurs dans ces pratiques que l’on retrouve le plus d’innovations, à l’instar des sports de glisse (neige/mer/air).
Le « toujours plus » séduit les sportifs :
• L’ambition de marquer son nom dans l’histoire de la pratique à l’image de la Barkley, un marathon de 160 kilomètres en pleine nature avec seulement une boussole et une carte qui ne compte que 15 finishers depuis 1986…
• Entrer dans une communauté restreinte de sportifs, comme les black finishers du Norseman.
Le « toujours plus » séduit les marques :
• S’associer à un sport, une pratique extrême et miser sur le « toujours plus », c’est l’assurance de faire le buzz, un exploit qui fait réagir, qui est partageable…
Et puis, c’est aussi l’occasion de se dépasser, d’aller encore plus loin sur des exploits sportifs comme la dernière traversée du Lac Titicaca de
Théo Curin, Malia Mettella et Matthieu Witvoet. Mako la marque de combinaisons et maillots de bain qui les a soutenus a su gagner en notoriété via leur exploit repris par tous les médias, suivi par des milliers de followers sur Instagram. L’aventure et les athlètes avaient chacun leur partenaires (Lacoste, EDF, Unilever, Simmons, etc.).
S.S : C’est un atout pour une agence marketing de pouvoir surfer sur l’exploit aujourd’hui dans la promotion d’événements sportifs ? Un argument de séduction supplémentaire ? Une arme redoutable pour être efficace sur les réseaux sociaux et le digital ?
J.F.R : L’exceptionnel, l’unique permettent de créer des valeurs de marque fortes, différenciantes qui vont amener plus d’engagement et de rétention. Sur les réseaux sociaux en particulier mais c’est un ressort bien connu des médias classiques…
S.S : Comment expliquez-vous cette escalade vers l’extraordinaire ?
J.F.R : Nous avons besoin de héros, de modèles et nous repoussons les limites physiques, techniques, humaines… les premiers aventuriers étaient dans l’aéronautique (cf. Roland Garros) et la voile avec les records des traversées des océans. Si les développements techniques subliment dé-sormais les exploits physiques, la recherche de l’aventure et de l’exceptionnel dans une société de plus en plus normée est une constante que les médias, les réseaux sociaux viennent amplifier. Dans une société de consommation post-moderne qui souhaite un retour vers la nature des pratiques sportives (d’où l’émergence des raids, trails, activités de pleine nature…) tout en cherchant la performance, on repousse en permanence les limites. Donc plus les expériences précédentes sont originales et extraordinaires, plus les attentes des pratiquants vont être élevées pour les suivantes. Il faut donc sans cesse de renouveler… En somme, toujours aller plus vite, plus haut, plus fort.