Pour la première fois, des hommes vont s’affronter en solitaire, autour du monde, à bord de multicoques. Une affaire de pionniers donc qui ouvre une nouvelle ère dans la conquête des possibles à bord de ces bateaux de géants. Retour sur l’histoire d’un tour du monde souvent convoité, peu réussie et d’une exigence folle pour tous ceux qui s’y aventurent.
Lui aussi voulait être le premier. Lui, c’est Alain Colas, un nom qui reste gravé dans la mémoire de tant de passionnés, une stature, une disparition qui fait les légendes et une vie sur les océans, surtout. En 1969, il achète Pen Duick IV après avoir réuni 225 000 francs. L’histoire est belle : Éric Tabarly, rencontré pendant Sydney-Hobart en 1967 l’a poussé à devenir un aventurier des mers, qui le lui a vendu.
La fierté d’Alain Colas se mêle à son incroyable motivation. Il remporte la Transat anglaise en 1972, goûte au début d’une reconnaissance alors que le milieu se montre sceptique à propos de cette tête brûlée qui n’est pas vraiment du sérail. Alain Colas rêve de la Whitbread, ce premier tour du monde en solitaire disputé en 1973, mais l’inscription lui est interdite : la course – qui deviendra légendaire – est réservée aux multicoques. Qu’importe, le marin prendra la mer depuis Saint-Malo, le même jour que le départ de ses compères de la Whitbread. Son bateau est rebaptisé Manureva (« l’oiseau du voyage » en polynésien) avant qu’il ne prenne son envol.
Joyon, le pionnier d’une nouvelle ère
Il y aura un mois d’escale à Sydney, la traversée des 40e Rugissants – « un véritable pays de misère » - et, après 169 jours de périple, l’arrivée triomphale à Saint-Malo. Alain Colas est le premier et il faut attendre treize ans pour que de nouveaux téméraires s’attaquent à son record. Ils sont deux : Philippe Monnet et Olivier de Kersauson. Monnet (Kriter Brut de Brut) est le premier à réunir les sponsors et les fonds nécessaires. Malgré deux escales, il abaisse le record de 40 jours en 1986 (129 jours). Olivier de Kersauson (Un autre regard) tient sa revanche trois ans plus tard (1989, 125 jours).
La suite se déroule au XXIe siècle et elle sera impressionnante et spectaculaire. Le temps est venu des circonvolutions sans arrêt, ce qui était peu imaginable quelques années plus tôt. L’auteur de l’exploit connaît bien la route, c’est Francis Joyon (IDEC). Avant de tenter sa chance en 2004 en solitaire, il faisait partie de l’équipe d’Olivier de Kersauson qui s’était offert le record en équipage en 1997 (71 jours). À bord du même bateau, Joyon résiste aux aléas et aux problèmes mécaniques tout en bénéficiant de conditions météorologiques exceptionnelles. Résultat : il est le premier solitaire à bord d’un multicoque à terminer en moins de 100 jours. Surtout, il n’est qu’à un jour du record obtenu par Kersauson en équipage (72 jours) !
**De MacArthur à Gabart, les compteurs s’affolent **
Un an plus tard, un autre bateau tente l’aventure. Et pour la première fois, il a été dessiné, pensé et construit pour ce tour du monde en solitaire. C’est B&Q Castorama à l’initiative d’Ellen MacArthur, récente 2e du Vendée Globe et princesse de la course au large. Elle s’élance avec humilité : son équipe assure qu’il lui faudra trois tentatives pour battre le record. Pourtant, son tour du monde est exceptionnel. Plus rapide aux trois caps, elle boucle la boucle en 71 jours, un jour de moins que Joyon.
Piqué au vif, Joyon remonte en selle. Il a un nouveau bateau (Idec II), son routage est assuré par Jean-Yves Bernot et les compteurs explosent. À l’arrivée, le record est à 57 jours (14 de moins), 2e meilleure performance de l’histoire avec celle d’Orange II en équipage (50 jours).
Thomas Coville aussi en a rêvé de ce record. Avec le soutien de Sodebo, il tente sa chance à cinq reprises dont deux en allant au bout, proche du record sans toutefois l’atteindre (59 jours en 2009, 61 jours en 2011). Y retourner est une épreuve en soi, la certitude qu’il faut puiser au plus profond, chasser les doutes, trouver ses ressources qui contribuent à se sublimer. Thomas a eu une formule pour ça : « J’ai tenté, j’ai échoué, je suis tombé, je me suis relevé, je me suis reconstruit». Au bout de ce tunnel de travail, de sueur, d’espoir et de vitesse, la consécration : une arrivée en 49 jours à 24,09 nœuds de moyenne.
L’année suivante, place à un petit prince devenu déjà roi. François Gabart a 34 ans, mais un palmarès impressionnant : le Vendée Globe (2013), la Route du Rhum (2014), la Transat Jacques Vabre (2015) et la Transat Anglaise (2016). Avec Macif, il a construit un nouveau bateau : le cockpit est fermé pour la première fois, le multicoque est plus léger (13 tonnes) et construit pour le solitaire. « Afin de battre le record, il faut une bonne météo, de la chance et de la réussite », explique alors François Gabart. Il a eu les trois et s’est offert le record en 42 jours et 16 heures. Depuis, il n’a plus été battu.
Six ans plus tard, six marins partent à l’assaut des océans. Ensemble. Cette quête longtemps solitaire, longtemps imaginée contre le seul chrono, va se dérouler à plusieurs, entre adversaires et entre audacieux qui se respectent. Ce doux rêve de parvenir à dompter des machines hors normes seul sur les mers du globe va devenir réalité et poursuivre ainsi une riche histoire autour du monde.