Publié le 07 juillet 2020

[NEWS TANK SPORT] Tennis : « Les fédérations ont un rôle à jouer pour recruter fans et joueurs » (B. Giudicelli, FFT)

« Le tennis professionnel doit regarder ses racines et reconnaître le rôle des nations dans le recrutement des fans et des joueurs de haut niveau. Tous ont commencé à jouer dans un club via un territoire et ont bénéficié du soutien d’associations régionales (Europe, Afrique, etc.). S’il n’y a pas une reconnaissance du rôle des fédérations et donc du tennis amateur, on ira vers une raréfaction du nombre de pratiquants et de fans », déclare à News Tank Bernard Giudicelli, président de la FFT et candidat à sa réélection, le 06/07/2020.

« Il y a actuellement 95 % des pratiquants du tennis qui sont dans 20 pays. Sur les 205 pays membres de l’ITF, moins de 95 ont au moins un garçon ou une fille dans un classement ATP ou WTA. Si on ne crée pas de héros local, de nombreux territoires ne vont jamais être intéressés par le tennis. Le problème de la participation est donc mondial et non franco-français. Mais, pour ce faire, il faut des moyens (formation de joueurs, système de compétitions, encadrement, etc.) alors que le parent pauvre du tennis mondial, ce sont les fédérations », poursuit le dirigeant, candidat à sa réélection le 12/12/2020.

« Nous allons combiner une campagne de terrain pour aller à la rencontre des clubs, et une campagne d’un genre nouveau, via des webinaires où je partagerai avec les présidents par catégories de clubs. L’idée est de démontrer ainsi l’application effective du PACT (Plan d’Action du Club de Tennis), de mettre en place une relation ascendante, afin de devenir une fédération moderne », explique celui qui est président de l’instance depuis février 2017.

« Il y a en fait trois choses dont nous sommes fiers, avec la satisfaction de l’artisan, lequel se retourne et regarde le travail effectué avant de le livrer :

  • La digitalisation de la Fédération et notamment le lancement de Ten’Up coach, extension de la plateforme Ten’Up pour les enseignements.
  • La réinstallation de la famille au cœur du système de formation vers le haut niveau.
  • La nouvelle organisation fédérale avec la proximité comme réponse. Le club est la clef, c’est là que le jeu naît et grandit et où l’on retrouve la formidable énergie des bénévoles », ajoute le président.

« On veut essayer de gagner des licenciés par l’ouverture du site de Roland-Garros à l’année via le Roland-Garros Tennis Club, où les clubs pourront venir passer une journée. On avait également caressé le projet, avant que le Covid-19 ne nous en empêche, d’accueillir un grand tournoi de basket féminin. L’idée est d’utiliser ce stade à l’année pour quelques spectacles, événements et concerts ou festivals de musique comme un “Festival de la terre” », indique Bernard Giudicelli qui répond aux questions de News Tank.

Pourquoi avoir choisi un tel timing pour annoncer votre candidature à un nouveau mandat à la tête de la FFT en vue de l’élection du 12/12/2020 ? Sera-t-il votre dernier mandat ?

Le lancement de ma candidature suit les dates électorales de la Fédération, la commission fédérale des opérations électorales ayant fixée la date de début de la campagne au 15/06/2020. Le temps d’établir les documents requis, d’obtenir des attestations, et de déposer une liste provisoire de 39 noms auprès de la commission comme la réglementation le prévoit, nous avons reçu sa confirmation que la demande de candidature était enregistrée et donc que la candidature est déclarée. Il ne s’agit pas de l’élection du président, mais de celle d’un projet, d’une équipe et d’un président.

Nous allons combiner une campagne de terrain pour aller à la rencontre des clubs, et une campagne d’un genre nouveau, via des webinaires où je partagerai avec les présidents par catégories de clubs. L’idée est de démontrer ainsi l’application effective du PACT (Plan d’Action du Club de Tennis), de mettre en place une relation ascendante, afin de devenir une fédération moderne.

Cela fait 40 ans que je donne ma vie au tennis. J’ai envie d’accomplir cette modernisation de l’instance. Ensuite, je verrai si j’y trouve d’autres défis passionnants ou si j’envisage plutôt de passer plus de temps en famille. L’idée est de donner un avenir à ma fédération, et de faire en sorte que ceux qui nous succéderons la trouve en bon ordre de marche.

De quelle manière la crise sanitaire liée au Covid-19 a-t-elle influencé la conception de votre programme ?

La crise a d’abord permis de vérifier la qualité du modèle de gouvernance de la FFT. Depuis décembre 2019, nous avons mis en place le principe de subsidiarité (selon lequel une autorité centrale ne peut effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l'échelon inférieur), terme le plus moderne dans les organisations, visant à donner davantage de pouvoir au niveau le plus proche du terrain et davantage de marge de manœuvre là où est le lien de proximité, au niveau des clubs et des comités départementaux. Les ligues et la FFT viennent ensuite en renfort, avec un procédé d’ « ascenseur à questions » où les questions montent et les réponses descendent. En dernier lieu, si la Fédération n’a pas la réponse, elle s’entoure d’experts. Nous avons ainsi pu, grâce à cette organisation, être parmi les premiers à proposer au ministère un protocole, pensé pour l’échelon de proximité, les décideurs locaux.

Ensuite, la crise a conforté l’importance de la santé en général. Or, le sport est le premier acte de santé et il a été prouvé scientifiquement que les sports de raquettes favorisent la longévité, avec 9,1 mois d’allongement de la durée moyenne de vie.

Le troisième enseignement de la crise est la démonstration qu’il est possible de communiquer différemment. Il s’agit d’aller à l’essentiel et de fournir des réponses aussi vite que possible, de favoriser les prises de décision et l’efficacité de la prise de décision. Les webinaires, et au sens large la digitalisation de l’instance, peuvent y contribuer. On propose ainsi aux clubs, via le PACT, d’utiliser le digital et Microsoft Teams pour demander à la FFT les actions ou services dont ils ont besoin, ce qui met un terme au système pyramidal et permet à la FFT d’intervenir et de donner des réponses sans se déplacer.
 
Autre conséquence de la crise, l’émergence de nouveaux formats de compétitions tels l’Ultimate Tennis Showdown (UTS) visant à rajeunir la « fanbase » de votre discipline. Qu’en avez-vous pensé ?
 
Toutes les expériences sont bonnes, mais quand on est fan, il faut la dramaturgie du cinquième set. Patrick Mouratoglou, instigateur de cette nouvelle compétition, est un passionné qui cherche toujours à faire progresser sa discipline. La lecture de la situation et de l’âge moyen du pratiquant est l’axe clef de mon engagement dans le tennis tant au niveau national qu’international. Le tennis professionnel doit regarder ses racines et reconnaître le rôle des nations dans le recrutement des fans et des joueurs de haut niveau. Tous ont commencé à jouer dans un club via un territoire et ont bénéficié du soutien d’associations régionales (Europe, Afrique, etc.). S’il n’y a pas une reconnaissance du rôle des fédérations et donc du tennis amateur, on ira vers une raréfaction du nombre de pratiquants et de fans.
 
Il y a actuellement 95 % des pratiquants du tennis qui sont dans 20 pays. Sur les 205 pays membres de l’ITF, moins de 95 ont au moins un garçon ou une fille dans un classement ATP ou WTA. Si on ne crée pas de héros local, de nombreux territoires ne vont jamais être intéressés par le tennis. Le problème de la participation est donc mondial et non franco-français. Mais, pour ce faire, il faut des moyens (formation de joueurs, système de compétitions, encadrement, etc.) alors que le parent pauvre du tennis mondial, ce sont les fédérations.
 
Au début de mon mandat, l’évaluation montrait que 89 % des jeunes de 8 à 18 ans, ne faisaient pas de matches car ils étaient non classés. Puis, on a fait reconnaître le match libre, que l’on a élargi aux non classés et 4e série adultes (classés entre 30 et non classés). Je sais que les clubs en ont besoin car 74 % des adultes dans les clubs sont en 4e série. Or, ce sont eux qui font tourner l’économie du tennis. Si on ne renouvelle pas ses générations, nos effectifs vont diminuer. Si les gamins ne jouent pas, ils ne sont donc pas devant la TV.
 
De quelle réalisation êtes-vous le plus fier concernant votre premier mandat ?

Il y a en fait trois choses dont nous sommes fiers, avec la satisfaction de l’artisan, lequel se retourne et regarde le travail effectué avant de le livrer :

  1. La digitalisation de la fédération. On a notamment imaginé Ten’Up coach, extension de la plateforme où les enseignements pourront renseigner des informations et les transmettre aux parents. Cela va dans la logique de la fin d’une structure pyramidale, car les gens veulent désormais être informés immédiatement.
  2. La réinstallation de la famille au cœur du système de formation vers le haut niveau. C’est elle qui conduit désormais le parcours de l’enfant, qui décide dans son intérêt d’une structure ou d’un club. C’est la fin de la filière univoque. Le tryptique famille / coach / structure est désormais presque à la carte, adaptable.
  3. La nouvelle organisation fédérale avec la proximité comme réponse. Le club est la clef, c’est là que le jeu naît et grandit et où l’on retrouve la formidable énergie des bénévoles.

Dans la colonne de vos succès, il y a le report de Roland-Garros en septembre 2020. Avez-vous le sentiment d’avoir eu raison avant tout le monde ?

Je ne m’emballe pas car trois mois doivent encore se passer avant le premier match sur terre battue. Or, je vois dans la rue que les gens négligent le masque. Il faut continuer à user des gestes barrières et montrer l’exemple au sein des clubs car nous sommes devenus des soldats de la République pour le bien commun. Je suis fier de la décision d’ouvrir le Centre national d’entraînement (CNE) et ses 40 lits au service de l’AP-HP car personne ne nous y obligeait.
 
La décision du report de Roland-Garros n’est pas un coup de tête. A mon arrivée aux affaires en 2017, nous avions mis en place un plan de gestion des risques où l’annulation de Roland-Garros figurait le 21e et dernier point. Dès la fin décembre 2019, nous avons opéré une veille de la situation chinoise notamment par rapport à l’approvisionnement. Puis, à partir de l’affaire du Diamond Princess en janvier 2020 (un bateau confiné dans le port de Yokohama, au Japon, avec de multiples cas d’infection au Covid-19 à bord), nous avons activé la cellule de crise avec Jean-François Vilotte, notre directeur général, comme chef de cellule. Lorsque les premières annulations sont arrivées, j’ai très vite demandé non pas quelles étaient les hypothèses, mais quelles étaient nos options. Puis, au fur et à mesure des annonces, des options tombent et d’autres demeurent. L’option 1 était de jouer avec une jauge de 5 000 personnes, l’option 2 de le faire à huis clos et la 3 de jouer en septembre 2020. Cette dernière fut très vite la seule à rester debout.
 
Que pensez-vous de la proposition de Bernard Caïazzo, président de Première Ligue, de constituer un fonds permanent de 500 M€ pour le sport utilisable en cas de crise comme celle du Covid-19 ?
 
On a proposé un dispositif similaire fin avril 2020 au ministre des Finances et du Budget. Il faut qu’il y ait un fonds pour permettre aux grands événements sportifs et culturels d’assurer leur continuité. Wimbledon, qui avait pris une assurance avec le SRAS (en 2002), ne pourra plus le faire à l’avenir car les compagnies d’assurance ne sont pas folles et ne vont plus garantir cela. Il va falloir en tout cas modifier nos modes de vie, cultiver un certain temps la distanciation sociale et apprendre à vivre avec ce virus.
 
Quels sont les chantiers prioritaires pour le tournoi du Grand Chelem parisien d’ici aux JO de 2024 ?
 
On a mis en place un dispositif visant à responsabiliser et à valoriser les compétences. Notre slogan, « Agir et Gagner », c’est gagner des titres, mais c’est aussi gagner des moyens, des licenciés et des compétences. Ce sont les quatre éléments cardinaux qui sont importants et qui structurent l’ambition de Roland-Garros. Du coup, on agit dans ces directions et, agir, c’est transformer. On a ainsi investi près de 400 M€ dans le nouveau stade, donc on ne peut pas envisager de gagner uniquement des titres avec un tel investissement.
 
On veut essayer de gagner des licenciés par l’ouverture du site de Roland-Garros à l’année via le Roland-Garros tennis Club, où les clubs pourront venir passer une journée. On avait également caressé le projet, avant que le Covid-19 ne nous en empêche, d’accueillir un grand tournoi de basket féminin. L’idée est d’utiliser ce stade à l’année pour quelques spectacles, événements et concerts ou festivals de musique comme un « Festival de la terre ».
 
Quels sont les liens de la FFT avec le sport scolaire ? Comment les renforcer ?
 
Nous avons proposé une action identifiée dans le PACT, « de la cour au court », une action qui consiste en la création d’un support pédagogique (en lien avec l’Éducation Nationale, l’UNSS et l’USEP), un dispositif qui va se déployer sur tout le territoire. On a d’abord testé le système via quatre écoles du Val d’Oise avant que 1 000 enseignements ne soient concernés par la dernière phase de tests. L’idée est de fournir aux classes le matériel adapté pour faire de la cour d’école un court de tennis.
 
Les objectifs visés par Ten’Up un an après le lancement sont-ils atteints ? Que reste-t-il à faire ?
 
Une vingtaine d’évolutions de la plateforme sont programmées, dont la possibilité prochaine d’y « uploader » son certificat médical. Le match libre est désormais possible donc, et on prévoit d’utiliser Ten’Up comme marketplace, avec la possibilité d’acheter des produits sur le « pro shop », avec un système de « click and collect ». Il s’agit de favoriser le lien entre les adhérents et les magasins. Enfin, outre le Ten’Up coach, on va lancer Ten’Up club, une sorte de réseau social dédié au tennis pour la communauté de pratiquants, pour échanger autour de la vie du club.
 
Où en est le développement du padel sous l’égide de la FFT ? Peut-on imaginer la création d’équipements modulables alliant foot à 5, basket 3 VS 3 et padel par exemple ?
 
Nous avons créé 256 pistes de padel supplémentaires. Nous avons lancé le FFT Padel Tour pour en assurer la progression. Nous avons créé un poste de manager 100 % padel. Nous avons un élu français qui siège au board de la Fédération Internationale de Padel, Hubert Picquier. Nous approchons des 10 000 classés. Je ne suis pas favorable à des équipements modulables. Le padel est un sport à part entière et doit être développé comme tel. Pour cela, nous avons mis en chantier le projet du centre national de padel sur l’Ile de Puteaux (Hauts-de-Seine) ont nous sommes devenus concessionnaires. En clair, nous avons posé les fondations sur lesquelles nous allons bâtir pour les 10 ans qui viennent.
 
Comment avez-vous intégré la RSE et notamment l'écologie, thématique porteuse, à votre programme ?
 
Nous avons un plan d’action RSE diffusé tout au long du programme. Il faut favoriser l’innovation et l’exigence environnementale. On a déjà fait beaucoup comme le zéro plastique à Roland-Garros ou lors de l’extension du site, avec un projet qui s’insérait parfaitement dans les serres d’Auteuil et permet de faire connaissance avec la végétation du monde. On envisage de créer le « Festival de la terre », un festival musical autour de la notion défense de la planète et on imagine des actions spécifiques pour favoriser la reforestation sur des territoires, notamment la forêt méditerranéenne. On pense à y participer en imaginant que chaque ace réussi permette de planter un arbre et que les enfants des écoles de tennis réalisent ce geste.
 
Parlez-nous de votre projet de classement mondial élaboré via votre poste au sein de la Fédération internationale. Quels objectifs poursuit-il ?
 
Le projet mobilise une trentaine de personnes entre techniciens et prestataires de l’ITF. On s’est associé aux Fédérations anglaise et américaine pour co-financer avec l’ITF ce classement baptisé World tennis number (WTN). C’est un algorithme qui évalue le niveau de jeu des joueurs et joueuses avec un classement mixte allant de 40 à 1 et qui attribue une « Game Zone » à chacun. Ce « Game Zone » définit les personnes qui peuvent me défier et jusqu’où je peux aller défier d’autres joueurs. Nous sommes en fin de phase de test, avec 20 pays qui fournissent leurs résultats.
 
L’idée de départ date de 2015, quand j’étais membre de la commission développement de l’ITF, commission que je préside aujourd’hui. Il nous fallait alors une véritable stratégie. Or, qu’est-ce qui définit une nation développée de tennis ? Une telle nation a cinq atouts : un système de classement, un système de compétitions, un système de coachs, une bonne gouvernance et une bonne communication, de préférence via le digital. Ainsi, avec ce classement international, on offre une de ces briques à tous les territoires du monde. Ce classement va devenir l’armature de leur édifice national. Il s’agit aussi de donner aux gens le plaisir de la compétition. On doit valider en juillet les dernières étapes du projet.
Bernard Giudicelli, dirigeant de la Fédération Française de Tennis, à News Tank, le 07/07/2020