Publié le 12 janvier 2022

Avis d'expert : Emmanuel Alix, Directeur du Pôle Numérique du Groupe L'Equipe

Dans le cadre de la commission médias et de la MédiaNews, la newsletter qui adresse les tendances et enjeux médias au sein de l'écosystème sport, découvrez l'interview d'Emmanuel Alix, Directeur du Pôle Numérique du groupe L'Equipe.
Cette interview a été réalisée par le sous-groupe de travail dédié aux médias du Lab' SPORSORA.
 
SPORSORA : Le digital semble prendre une place de plus en plus présente dans les stratégies de contenu, cette dynamique correspond à une évolution de la consommation des contenus notamment chez les 12-24 ans voire chez les 25-35 ans. Quels sont les différents modes / canaux de consommation proposés par L'Equipe ?

Emmanuel Alix : Aujourd’hui, toute stratégie de contenu et toute stratégie d’un média comme L’Equipe passe par le numérique. Ce dernier ne s’adresse plus exclusivement aux plus jeunes mais à tous. Notre rédaction est commune print et numérique. Les journalistes écrivent en premier lieu leurs articles pour la plateforme digitale de L’Equipe, certains apparaitront également dans le journal quotidien mais tous les contenus sont pensés avant tout pour le numérique. Et en termes de droits sportifs, L’Equipe n’acquiert plus de droits audiovisuels sans que cela n’inclut l’exploitation digitale de ces droits. L’ensemble de l’entreprise se tourne vers le numérique.

Pour ce qui est des différents modes de consommation, on essaie de s’adapter en allant où est l’usage tout en gardant en tête l’objectif de monétisation. Le site est évidemment notre plateforme digitale principale mais on est aussi très présents sur l’intégralité des réseaux sociaux (un des premiers médias à se lancer sur Snapchat en 2016), même si la monétisation est plus faible sur ces plateformes elle permet de maintenir un contact fort avec une audience plus jeune. Sur notre plateforme digitale, la monétisation se fait par la publicité mais aussi grâce à des formules d’abonnement, pour accéder à des contenus premium.

Il faut évidemment adapter les contenus proposés en fonction des plateformes, un article de L’Equipe de 5 000 caractères devra être « transformé » en une vidéo de 15 secondes sur les réseaux sociaux (Instagram, Snapchat, TikTok notamment). L’information est la même mais présentée sous une forme complètement différente, plus adaptée à la plateforme sur laquelle elle est diffusée.

 

SPORSORA : La chaîne l'Equipe est-elle votre unique canal de diffusion de contenus sportifs en direct ?

E.A. : Non, nous avons également l’Equipe Live qui est la petite sœur de la chaîne l’Equipe. On a beaucoup de droits grâce à la chaîne, mais la chaîne n’a qu’un seul canal donc ce serait dommage de ne pas pouvoir tout exploiter. Je vais prendre l’exemple du Grand Slam de judo de Paris (grand tournoi de judo à Paris) ; la chaîne diffusait les finales qui étaient entre 18h et 20h et les qualifications étaient diffusées sur L’Equipe Live toute la journée, ce qui offre une vraie complémentarité à nos téléspectateurs.

Lorsqu’on acquiert des droits médias, l’objectif est bien entendu d’exploiter ces droits sur toutes nos plateformes afin de toucher une audience la plus large possible. Au-delà de la retransmission en direct on va utiliser des actions de matchs sur les articles ou les réseaux sociaux.

 

SPORSORA : Vous considérez aujourd'hui que le linéaire va l'emporter par rapport soit au quotidien papier, voire au digital ou que justement le digital a potentiellement déjà dépassé le linéaire que ce soit en matière de monétisation et aussi en termes d'utilisateurs ?

E.A. : Le quotidien L’Equipe c’est 220 000 exemplaires / jour, qui permettent toujours de dégager des revenus significatifs. En linéaire, c’est 6 millions de personnes qui regardent la chaine L’Equipe quotidiennement. La télévision reste très puissante. Le numérique, lui, attire près de 3 millions d’utilisateurs uniques par jour (site internet et application mobile). L’apport financier fourni par le digital progresse mais nous devons aller plus vite et plus loin. L’objectif est donc d’optimiser la monétisation sur nos plateformes digitales. Le contenu payant (abonnement digital) s’est renforcé ces dernières années avec des articles dédiés mais également l’Equipe Explore ; une plateforme de documentaires. Pour nos lecteurs gratuits, la monétisation passe par la publicité, qu’on doit en permanence optimiser avec notre régie Amaury Média, notamment face à la concurrence des GAFA qui ont pris une part importante du gâteau.

 

SPORSORA : Quelle évolution de ces offres de consommation est prévue dans les années à venir ? Notamment pour anticiper les nouveaux modes de consommation de la Gen Z ?

E.A.On essaie sans cesse d’évoluer pour proposer à nos utilisateurs un contenu qui les intéresse, qui les touche. On propose effectivement une offre dense sur les réseaux sociaux et surtout sur le site internet et l’application qui correspond bien à la jeune génération même si ce n’est pas la seule à consulter ces plateformes. On utilise beaucoup plus de vidéos et de photos pour partager l’information qu’il y a quelques années, mais également des datas, qui ont une importance grandissante. Néanmoins, il y a certaines informations, ou le format le plus adéquat reste le texte.

L’utilisation de vidéos, de replays, ou de résumés a également pris de l’ampleur, avec beaucoup de contenus issus de nos droits qu’on a réussi à exploiter ainsi que des contenus autour des émissions de la chaine L’Equipe qui fonctionnent très bien aussi. Mais on sait que le sport se vit principalement en direct et le cœur de l’offre reste toujours le direct. On ne possède pas les droits de la Ligue 1 et de la Ligue des Champions et on ne les possèdera jamais mais on essaie de proposer une alternative aux personnes qui ne sont pas abonnées à Amazon Prime Vidéo ou à Canal + pour suivre sur la chaine le match en direct commenté sans les images (façon radio).

On a aussi des projets sur les réseaux sociaux. On réalise pas mal de choses sur Twitch, durant la Coupe du Monde de Football notamment, une émission avait lieu tous les soirs et analysait les aspects tactiques autour des différents matchs disputés. On s’est appuyé sur un streamer, Zack Nani, qui animait l’émission avec deux de nos journalistes experts de ces sujets. Mais la monétisation de ce genre de contenus est plus complexe. C’est super de faire de belles audiences avec Twitch mais cela reste des utilisateurs de Twitch… et si jamais demain on veut gagner de l’argent sur Twitch, on va le partager avec la plateforme. On est donc dans un équilibre entre proposer du contenu innovant à des populations plus jeunes sur différentes plateformes tout en gardant notre socle principal de contenus sur notre plateforme.

 

SPORSORA : La stratégie de diffusion en pay-per-view est-elle une possibilité envisagée dans un futur proche ? Si non et réticent, pourquoi ? Quels défauts percevez-vous dans la stratégie du pay-per-view ?

E.A. : Nous n’avons pas à proprement parler d’offre de pay-per-view et ce n’est pas forcément une stratégie que l’on envisage dans les années à venir. Cependant, nous avons fait quelques expérimentations en 2022 grâce aux droits que nous possédons sur la Ligue des Nations, nous avons inclus certains matchs dans l’offre d’abonnement payante.

La mise en place d’une offre de pay-per-view c’est beaucoup de travail, beaucoup de temps et de technologie pour diffuser finalement un seul évènement, donc s'il n’y a pas d’offre continue, ce modèle économique n’est pas pérenne.

 

Propos recueillis par les membres du Lab' SPORSORA : Arthur Donnadieu (Foot Unis) & Maximilien Doussaint (Infront)