Publié le 05 mars 2019

[Tribune] À quand un Netflix du sport ?

Découvrez notre tribune sur l'éclatement de l'offre sportive à la télévision.

Découvrez l'article original paru sur Les Echos en cliquant ici

Plus d’un milliard d’euros par saison versés par le groupe audiovisuel espagnol Médiapro à la Ligue de football professionnel (LFP) pour diffuser la Ligue 1 Conforama entre 2020 et 2024 : cette progression de 58 % par rapport aux enchères précédentes montre plus que jamais l’impact des droits télévisuels sur le modèle économique du sport. Les détenteurs de droits se réjouissent forcément de l’arrivée de tels investissements qui leur permettront d’entrer dans une nouvelle dimension sportive et économique.

Si cette tendance est flagrante dans le football, elle existe dans d’autres sports : entre autres, la Jeep Elite diffusée par RMC Sport s’est vendue à 10 millions d’euros par saison jusqu’en 2020, en progression de 61 % par rapport à l’accord précédent ; la diffusion de la Lidl Starligue sur beIN Sports génère 4 millions d’euros par saison pour la Ligue nationale de handball jusqu’en 2023.

Plates-formes 

Face à l'éclatement de l'offre sportive à la télévision, les détenteurs de droits craignent le phénomène du piratage. En effet, la plupart des contenus sportifs diffusés à la télévision est accessible sur des plates-formes en ligne illégales qui diffusent les signaux piratés des chaînes en très bonne qualité.

Cela met véritablement en danger le modèle économique des chaînes et des détenteurs de droits : la consommation payante des contenus sportifs permet de justifier les investissements consentis par les chaînes auprès des détenteurs de droits ; si cette consommation se tourne vers des solutions illégales gratuites, les chaînes se détourneront du sport et les détenteurs de droits perdront une source cruciale de revenus. C’est toute l’économie du sport qui en pâtirait. 

La législation progresse sur ce sujet, vers un renforcement des outils de poursuite judiciaire, qui permet de clarifier cette zone grise. Le piratage est d’ailleurs à l’ordre du jour du projet de loi audiovisuel, au programme du Parlement durant l’été 2019. En parallèle, les acteurs concernés s’organisent. En janvier 2018, des détenteurs de droits et des médias ont créé l’Association pour la protection des programmes sportifs (APPS) qui vise à encourager la lutte contre le piratage des contenus sportifs.

Un budget foot... conséquent

Et pourtant, comment ne pas compatir avec les consommateurs de sport en France aujourd’hui ? Certains déclarent ne plus rien comprendre au mille-feuille de l’offre sportive à la télévision, où chaque chaîne s’approprie les événements sportifs majeurs séparément. Objets de toutes les attentions, les fameux Millenials fans de sport au petit budget ne peuvent donc pas admirer à la fois le PSG, le Stade toulousain, les Los Angeles Lakers et Roger Federer. Déjà difficiles à fidéliser pour les canaux classiques, comment peuvent-ils voir leurs idoles sans casser leur tirelire pour les bouquets proposés par les chaînes sportives ?

Prenons l’exemple du football. Pour regarder la Champions League, le fan doit s'abonner à RMC Sport pour 18,99 euros par mois (9 euros pour un abonné SFR). Pour regarder l’ensemble de la Ligue 1 Conforama, il faut souscrire aux offres de Canal+ et de beIN Sport pour respectivement 34,9 euros mensuels. Pour regarder les premiers tours de la Coupe de France, il faut se tourner vers l’offre d’Eurosport à 9,99 euros par mois, en complément de France télévision. L’ensemble du foot français coûte donc plus de 60 euros par mois à un téléspectateur.

Chacun peut comprendre que l’offre de sport à la télévision française n’est pas accessible à tous, en particulier les Millenials très convoités, encourageant le recours à des solutions alternatives : partager les abonnements entre amis ou en famille ; aller dans un bar ; se contenter des résumés du lendemain des matches ; et… les plates-formes en ligne de streaming illégal.

Solutions innovantes

L’arrivée prochaine de Médiapro dans le paysage audiovisuel français avec une offre à 25 euros mensuels pour regarder la Ligue 1 Conforama ne semble pas apporter de solution à l’inflation des prix des abonnements et au manque de clarté des offres. Néanmoins, les tendances progressent vers un nouveau paradigme. Tandis que les grandes compétitions sportives ne sont pas directement rentables pour les chaînes classiques, les groupes de télécommunication deviennent les nouveaux acheteurs de droits qui leur permettent d’attirer des abonnés.

De nouvelles solutions innovantes sont également mises en avant par l’émergence de plates-formes de distribution, comme le démontre par exemple la prise de participation du groupe Altice au capital de la plate-forme Molotov. Les détenteurs de droits s’y mettent aussi en recrutant des experts des médias pour lancer leurs propres chaînes, à l’instar de la FFF, la LFP, l’UEFA ou encore le CIO.

Ces nouveaux services OTT (« over-the-top », via une application numérique) poussent le marché à s’adapter… vers un Netflix du sport ? Dans tous les cas, vers une nouvelle offre répondant aux nouveaux modes de consommation rendant plus accessible le spectacle sportif, tout en préservant le modèle économique des parties prenantes : pas simple !