Publié le 03 janvier 2022

Tribune SPORSORA: NFT, crypto-monnaies... ces nouveaux instruments financiers qui viennent chambouler le marché du sport

Les Non Fungible Token (NFT), en français «jetons non fongibles», ont ouvert la voie à une nouvelle manière d’acheter et de vendre sur internet. La blockchain, en s’appuyant sur des codes d'identification uniques, rend chaque NFT infalsifiable pour que seul son détenteur puisse justifier de sa possession.

Depuis plusieurs mois, les NFT viennent conquérir le marché du sport. Cette arrivée représente de nouvelles opportunités pour le secteur. Toutefois, l’arrivée des NFT amène également son lot d’incertitudes et de précautions à prendre.

 

Les NFT : nouvelles opportunités pour le sport

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Ces jetons virtuels qui permettent, grâce à la blockchain, d’authentifier et de certifier un produit réel ou numérique semblent avoir tout le potentiel pour constituer une nouvelle source de revenus pour les ayants-droits dans le sport.

En effet, la collecte d’objets sportifs de collection est, depuis longtemps, largement ancrée dans le monde du sport. De nombreux fans sont prêts à investir financièrement dans le but d’obtenir une collection de cartes de leur équipe et joueurs favoris.

C’est ainsi que la recherche du phénomène de rareté qui accompagne l’achat des NFT, combinée à l’engagement des fans, a permis leur implantation dans le marché du sport. 

À titre d’exemple, la start-up française Sorare, qui a développé un jeu de fantasy football en ligne, permet aux utilisateurs de se mettre dans la peau de managers en gérant des cartes de joueurs numériques. Fin janvier 2022, la carte unique d’Erling Haaland s’est vendue pour 678 000 $. En septembre dernier, la start-up a annoncé une levée de fonds de 580 millions d’euros, ce qui en fait une des entreprises les mieux valorisées de la French Tech.

Les NFT donnent également la possibilité aux clubs de monétiser plus facilement le « fan-engagement » de leurs communautés. C’est ce que propose la plateforme Socios.com qui permet aux supporters d’échanger leurs actifs en NFT contre un droit de vote à certaines décisions officielles du club, comme la musique d’entrée des joueurs sur le terrain ou le design des maillots. Selon la BBC, en décembre 2021, les fans de football auraient déjà dépensé plus de 310 millions d’euros dans ces « fan tokens ». Ces NFT s’inscrivent donc dans une logique de relation privilégiée entre le détenteur de droits et les fans, en tant qu’outils e-CRM, actions marketing impliquant des échanges avec les clients.

Ainsi, l’arrivée des NFT dans le monde du sport offre aux ayants-droits et aux clubs une nouvelle opportunité de revenus en augmentant le panier moyen des fans, dans un marché fragilisé par la crise, mais aussi un nouveau moyen de renforcer l’engagement des supporters, souvent éloignés géographiquement. Preuve de leur succès, le cabinet Deloitte a estimé que d’ici fin 2022, ces jetons non-fongibles liés au sport représenteront plus de deux milliards de dollars de transactions. C’est environ deux fois plus qu’en 2021.

Nécessaire encadrement pour prévenir des potentielles dérives

Néanmoins, il reste une part de défis et d’incertitudes provenant de ce nouveau type d’acteurs, dont le marché n’est pour l’instant que peu régulé et pouvant être soumis à certaines dérives.

Alors qu’une régulation sévère touche le sponsoring des opérateurs de paris sportifs de différents pays (Italie, Espagne, Angleterre), les clubs se tournent de plus en plus vers les plateformes d’échanges de crypto-monnaies, qui multiplient les investissements dans le sponsoring pour développer leur notoriété et leur image. Ainsi au Royaume-Uni, c’est 17 des 20 clubs de Premier League qui ont signé un partenariat avec une plateforme d’échanges de crypto-monnaies, de sociétés d’investissement (ex : eToro, partenaire d’Arsenal, Newcastle, Aston Villa) ou encore des sites de jeux avec des crypto-monnaies.

Toutefois, cet investissement a sa part de risque. La valeur des NFT est susceptible d’évoluer en fonction de la demande puisqu’ils peuvent constituer des actifs spéculatifs, pour des acheteurs espérant en tirer un profit financier. Cet aspect spéculatif est 13 fois supérieur à celui des actions. Ces NFT, au développement récent, ne sont soumis à aucune réglementation pour le moment en France. Mais, le 5 octobre dernier, un amendement du groupe LREM dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, a été adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale. Il vise à donner à ces jetons non fongibles qui reposent sur la blockchain une définition légale et un régime spécifique. Il sera donc nécessaire, dans les prochains mois, de suivre attentivement les avancées de la législation française sur ce sujet afin de déterminer si une réelle législation encadrant les NFT sera votée et appliquée.

En outre, certaines plateformes ou sociétés restent assez opaques et ont pu amener des clubs à commettre des erreurs. En novembre 2021, Manchester City a notamment annoncé la suspension de son partenariat noué seulement quelques semaines plus tôt avec l’entreprise 3Key qui s’apparentait en réalité à une société-fantôme.

Un sujet d’éthique et de responsabilité

De plus, ces nouveaux systèmes permettant de posséder un objet unique peuvent parfois soulever des questions d’un point de vue éthique. Ainsi, la joueuse de tennis Oleksandra Oliynykova, 619e au classement WTA, a vendu, grâce aux NFT, une partie de son bras. De fait, l’acheteur peut en jouir à sa guise et y inscrire, par exemple, un tatouage représentant une marque. Aussi, les fans qui achèteront des tokens (NFT) dans un jeu qu’elle a créé, « OliCrypto », pourront prendre des décisions dans sa carrière comme son planning de tournois ou le renvoi d’entraineurs.

L’essor rapide des NFT peut également participer à l’augmentation de la pollution numérique. En effet, le fonctionnement des data centers, à la base du principe de blockchain, est gourmand en énergie car le stockage des données génère de la chaleur, ce qui entraîne un besoin de refroidissement via la climatisation et donc une consommation importante en eau. De fait, selon l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (ADEME), le secteur du numérique pourrait représenter 10% de la consommation électrique mondiale d’ici 2030.

 

Quelques pratiques innovantes ont retenu notre attention !

Dans le sport, certains investissements récents dans le domaine des NFT sont particulièrement disruptifs. Par exemple, durant le dernier Open d’Australie, 6 776 NFT ont été mis en vente via le wallet de cryptomonnaie Metamask. Cette initiative est particulièrement innovante car chaque oeuvre digitale correspond à 19 cm2 sur le court de tennis (l’acheteur du NFT ne connaît pas l’emplacement sur le terrain). A l’issue du tournoi, chaque impact des balles de match est analysé et révèle une dotation supplémentaire à l’heureux possesseur d’un Non Fungible Token (NFT) sur cet emplacement.

 
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L’opération « Supplément Marseille », lancée par l’Olympique de Marseille pour la sortie du maillot de la saison 2021/2022 en mai 2021 est également assez remarquable. En effet, le club de la cité phocéenne, avec son partenaire majeur Uber Eats, ont lancé une opération spéciale. Pour participer, il suffit de commander au choix l'une des pizzas créées pour l'occasion auprès du restaurant « La Bonne Mère » sur l’application. Une fois la pizza commandée sur l’application, le supporter pouvait recevoir le pack collector composé « d’une carte NFT célébrant les moments marquants de la saison 2020/2021 ; du nouveau maillot du club phocéen créé par Puma et d’une pizza créée sur mesure pour rendre hommage à des faits marquants de la saison de l’OM. » selon le club.  Ces NFT étaient des cartes virtuelles à l’image des joueurs de l’OM et étaient créés en 50 exemplaires pour autant d’heureux fans. Une telle opération contribue, sans nul doute, à la démocratisation des NFT.

Enfin, citons la plate-forme de NFT lancée par la légende du football américain Tom Brady et qui permet d’obtenir des objets de collection numériques principalement dans le secteur du sport. De nombreux sportifs ont adhéré au projet et commercialisent des moments forts de leur carrière sur cette plateforme (Tony Hawk, Simone Biles, Usain Bolt…). Récemment, c’est le dernier vainqueur de l’Open d’Australie Rafael Nadal qui a rejoint la plateforme pour se rapprocher encore plus de ses fans et monétiser leur engagement. Ces sportifs d’exception apparaissent aujourd’hui comme des modèles pour les fans et sont devenus de véritables célébrités. C’est pourquoi la commercialisation des moments forts de leurs carrières grâce aux NFT est si populaire.

Le sport mais pas que ...

Les NFT ne concernent pas que le secteur du sport, loin de là. L’art ou le luxe sont particulièrement ciblés. Une oeuvre de Pablo Picasso intitulée « La Fille au béret » a été ouverte à la vente via des NFT. Concrètement, des particuliers vont pouvoir acheter des parties de cette oeuvre pixelisée. Le fait que les NFT permettent d’acheter des oeuvres, ou des morceaux d’oeuvre, d’artistes comme Picasso illustre parfaitement l’importance de ces jetons non fongibles aujourd’hui. De telles ventes dans le monde de l’art mais aussi de la mode par exemple nous invite à repenser notre modèle de consommation en y introduisant la notion de « tokenisation » des oeuvres existantes.

Les NFT constituent donc un véritable changement de paradigme dans le monde du sport mais pas uniquement. A l’avenir, la démocratisation des NFT pourrait permettre d’entrer dans l’ère du « Web3 », une nouvelle version du Web, décentralisée et respectant l’anonymat et la vie privée des utilisateurs. Par exemple, avec le Web3, les NFT pourraient permettre aux artistes de ne plus dépendre des plateformes centralisées pour vendre leurs oeuvres. Grâce à la blockchain, ces jetons pourraient aussi rendre bien plus sûrs et anonymes les processus d’authentification dans cette nouvelle version d’Internet qui veut pallier les défauts du Web actuel (collecte et centralisation des données, dépendance aux GAFAM, etc).

 

Les NFT, un essor salvateur pour le sport à condition d’être prudent

Malgré les potentielles dérives que nous avons évoquées, ces dernières ne doivent pas venir freiner l’essor des NFT dans le secteur du sport. Ces nouveaux acteurs représentent une opportunité réelle pour les acteurs du secteur de diversifier leurs sources de revenus, et d’engager leurs communautés après une crise sanitaire et économique qui les a fortement fragilisés. Il convient néanmoins pour les clubs et les passionnés de sport désireux d’acheter des NFT de faire preuve de discernement et de prudence sur un marché en pleine expansion mêlant son lot de risques et d’excellentes opportunités.

SPORSORA, consciente de l’importance que sont en train de prendre les NFT dans le sport, a eu l’occasion d’échanger sur ce sujet lors de sa conférence de rentrée au mois de janvier que vous pouvez retrouver ici :

Notre association souhaite néanmoins aborder ce sujet plus en profondeur lors d’une conférence thématique dédiée lors d’un prochain évènement.