La société à mission a été introduite, en droit français, par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi « PACTE ») afin d’ « encourager le développement d’un capitalisme responsable ». Elle ne constitue ni un statut juridique ni un label. Il s’agit pour les entreprises d’expliciter un engagement d’intérêt collectif qui leur est propre et vis-à-vis duquel elles estiment devoir répondre devant leurs parties prenantes. Quelques précisions sur le régime de ce nouveau modèle de société…
I – Le champ d’application
- La qualité de société à mission concerne toute entreprise, dès lors qu’elle est enregistrée au registre du commerce et des sociétés. Par extension, les mutuelles et coopératives ont aussi la possibilité d’adopter cette qualité.
- Selon le dernier baromètre de l’Observatoire des Sociétés à mission publié en mars 2022, le nombre de sociétés à mission référencée à ce jour s’élève à 619.
- Les entreprises de conseil en RSE, de la finance et de l’assurance sont les plus représentées, suivies de près par la tech et le conseil en stratégie et transformation.
- La société à mission tarde en revanche à se développer dans le secteur du sport, avec seulement trois entreprises du secteur du sport recensées: (i) la société Les Experts Foot spécialisée dans la communication et l’accompagnement stratégique dans l’industrie du football, (ii) le club de football de Lyon La Duchère et, (iii) le club de basketball professionnel de Lyon LDLC ASVEL FEMININ.
II – Les avantages
- Donner du sens aux activités de l’entreprise en fédérant les équipes autour d’une ambition commune (actionnaires, salariés, partenaires, collectivités).
- Améliorer l’image de marque de l’entreprise en affirmant la raison d’être de l’entreprise auprès de ses parties prenantes.
- Collaborer avec une pluralité d’acteurs dans le domaine de la mission que l’entreprise s’est fixée.
- Améliorer la performance économique de l’entreprise grâce à l’innovation.
- Améliorer la marque employeur.
- Lutter contre les rachats hostiles.
- En revanche, la qualité de société à mission ne confère à ce jour pas d’avantages financiers, fiscaux ou sociaux.
III – Les 5 conditions à respecter
1. L’insertion dans les statuts d’une raison d’être
- Le Code civil définit la raison d’être d’une société comme «les principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité »
- En pratique, la raison d’être se présente comme une formule généralement brève décrivant l’ambition de l’entreprise qui dépasse la seule recherche du profit.
- A titre d’exemple, la raison d’être du club de Lyon LDLC ASVEL FEMININ est la suivante : «encourager l’inclusion et l’empowerment des femmes via le sport ».
- En lien avec sa raison d’être, la société à mission doit définir des objectifs stratégiques qu’elle se donne pour mission de poursuivre.
- A titre d’exemple, LDLC ASVEL FEMININ a inscrit dans ses statuts les objectifs suivants :
- Empowerment des femmes : S’engager pour l’accomplissement des femmes dans la société. LDLC ASVEL Féminin soutiendrait et mettrait en œuvre des initiatives pour combattre les stéréotypes, valoriser les singularités, afin que chacun puisse vivre et rêver selon ses propres convictions. Nous voulons mener à bien notre mission au sein de la société en devenant un acteur majeur et précurseur de l’empowerment des femmes.
- Grandir par le sport : Apporter les valeurs du sport, de la mixité et du basketball au plus grand nombre, le mettre au service de l’éducation des jeunes. Le sport joue un rôle fondamental dans la construction individuelle et collective, ainsi que le dépassement de soi. LDLC ASVEL Féminin porterait l'inclusion par le sport dans les milieux scolaires et les quartiers défavorisés.
- Engager notre Ecosystème : Fédérer nos partenaires, les acteurs du public et du privé, comme ceux de la société civile pour ensemble construire un monde plus inclusif. LDLC ASVEL Féminin créerait un mouvement au sein de notre territoire afin que chacun puisse faire bouger les lignes et faire gagner les femmes sur tous les terrains.
- Être créateur de lien social : Réunir autour de nos valeurs et de notre projet de club, pour encourager notre diversité d’identités et fédérer les passionnés de basketball féminin et de LDLC ASVEL Féminin. Nous voulons mettre notre passion au service de la solidarité de toutes les générations.
3. L’instauration d’un comité de mission et l’inscription dans les statuts des modalités du suivi de l’exécution de la mission.
- Le comité de mission est un organe distinct des organes sociaux de la société. Il doit comporter au moins un salarié
- Il est chargé exclusivement du suivi de l’exécution de la mission.
- Il présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion à l’assemblée générale chargée de l’approbation des comptes de la société.
- Le comité de gestion procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission.
- Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent opter pour un simple référent de mission, salarié ou non de l’entreprise.
4. La désignation d’un organisme tiers indépendant vérifiant l’exécution de cette mission
- La société à mission doit désigner un organisme tiers indépendant (ci-après, « OTI ») pour une durée initiale qui ne peut excéder six exercices.
- L’OTI est choisi parmi les organismes accrédités à cet effet par le Comité français d’accréditation (COFRAC).
5. La déclaration au greffe du tribunal de commerce
- L’entreprise doit déclarer la qualité de société à mission au greffe du tribunal de commerce, au moment de sa création ou le cas échéant, à la suite de la modification des statuts présentés et votés en assemblée générale.
- Le greffe procède à une publication au registre du commerce et des sociétés et mentionne la qualité de société en mission sur l’extrait K ou le K-bis.
IV – Le contrôle de la société à mission
- La réalisation par la société de ses objectifs sociaux et environnementaux fait l’objet d’un contrôle par un organisme tiers indépendant tous les 2 ans (tous les 3 ans pour les entreprises de moins de 50 salariés).
- La première vérification se fait dans les 18 mois suivant la déclaration de la qualité au registre du commerce et des sociétés (24 mois pour les sociétés de moins de 50 salariés).
- Un arrêté précise les diligences qu’implique le contrôle de l’OTI : notamment, examen de l’ensemble des documents détenus par la société utiles à la formation de l’avis ; consultation du comité de mission ou du référent de mission sur son appréciation de l’exécution des objectifs ; consultation de l’organe de gestion sur la manière dont la société exécute ceux-ci ; enquête sur l’existence « d’objectifs opérationnels ou d’indicateurs clés de suivi et de mesures des résultats atteints par la société à la fin de la période couverte par la vérification pour chaque objectif.
- Le contrôle de l’OTI donne lieu à un avis motivé qui doit comprendre les éléments suivants : preuve de son accréditation ; objectifs et périmètre de la vérification ; diligences qu’il a mises en œuvre en précisant le cas échéant, les difficultés rencontrées en cours de vérification ; appréciation, pour chaque objectif, des moyens mis en œuvre pour le respecter, des résultats atteints à la fin de la période couverte par la vérification, de l’adéquation de ces moyens au regard de l’évolution des affaires sur cette période et, le cas échéant, de l’existence de circonstances extérieures à la société ayant affecté le respect de l’objectif ; conclusions motivée sur le respect des objectifs. L’avis est joint au rapport du comité de mission, publié sur le site internet de la société et qui demeure accessible publiquement au moins pendant cinq ans.
- En cas de non atteinte des objectifs, une procédure de retrait de la qualité de société à mission peut être engagée auprès du président du tribunal de commerce compétent par la ministère public ou toute personne intéressée. Le cas échéant, la société peut se voir ordonner la suppression de la mention « société à mission » de tous les actes, documents ou supports électroniques qu’elle édicte.
3 questions à Marie-Sophie OBAMA, Présidente déléguée et Directrice Générale du club féminin de basketball professionnel LDLC ASVEL FEMININ
D’où vous est venue l’idée d’opter pour le modèle de la société à mission ? J’ai entendu parler pour la première fois de la société à mission à l’International Women’s Forum, un réseau d’entrepreneures soucieuses de donner à leur structure une approche innovante autour d’enjeux de société vertueux et fédérateurs. Je m’y suis notamment liée d’amitié avec Isabelle GROSMAITRE de la société Danone qui m’a décrit le fonctionnement de son entreprise (Danone est une société à mission). Nous étions à ce moment-là en pleine réflexion sur la construction de notre modèle économique et nous souhaitions porter une ambition de club allant au-delà du seul projet sportif. La société à mission nous est apparue comme la meilleure opportunité d’arriver à cette fin.
Comment avez-vous procédé pour définir votre raison d’être ainsi que vos objectifs stratégiques ? Nous nous sommes fait accompagner par la société Goodness & Co afin d’exprimer nos sensibilités et de faire émerger notre raison d’être. Très concrètement, nous avons établi un questionnaire que nous avons soumis à toutes les parties prenantes, à savoir nos 23 collaborateurs, les actionnaires mais aussi des responsables politiques, des journalistes… L’objectif était de mettre en lumière la façon dont ils percevaient le club et les domaines dans lesquels ils pensaient que nous pourrions avoir un réel pouvoir d’action.
En pratique, quels avantages concrets a retiré le club du choix de la société à mission ? A l’externe, la société à mission nous permet de proposer un modèle économique susceptible de fédérer dans la durée une communauté de partenaires autour de la raison d’être qui est la nôtre. De nombreuses entreprises nous rejoignent aujourd’hui pour nos valeurs et pour s’engager à nos côtés dans des actions concrètes déconnectées du plan purement sportif. En interne, les collaborateurs sont d’autant plus impliqués, s’engageant dans la réalisation d’objectifs stratégiques qu’ils ont eux-mêmes définis. D’une manière plus générale, notre feuille de route est établie pour plusieurs années, notre identité d’entreprise en ressort grandie, notre pérennité financière est garantie.
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[1] Rapport n° 1237 enregistré à la présidence de l’Assemblé nationale le 15 septembre 2018
[2] https://observatoire.entreprisesamission.com/les-barometres-de-lobservatoire-des-societes-a-mission
[3] A titre illustratif, bien que non référencé par l'Observatoire des Sociétés à mission, le club professionnel de rugby de l'Aviron Bayonnais et l'agence Sport Market sont des sociétés à mission.[4] Code civil, article 1835
[5] Arrêté ECOT2017159A du 27-5-2021