Publié le 25 mai 2023

[L'oeil du lab' SPORSORA] Le piratage des contenus audiovisuels sportifs

La deuxième promotion du Lab' SPORSORA rassemble douze jeunes collaborateurs parmi ses membres, répartis en groupes de travail. Le sous-groupe de travail dédié aux médias prend la parole :
 
LE PIRATAGE DES CONTENUS AUDIOVISUELS SPORTIFS

60% de la GenZ recherche systématiquement un lien gratuit et illégal pour regarder une rencontre sportive sans souscrire à l'offre (source étude SPORSORA)

Les contenus sportifs gratuits sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux ou sur YouTube. Les plateformes média digitales sont aussi en plein essor. Les contenus sportifs gratuits à la télévision ont plutôt tendance à diminuer (source étude CSA 2021). Pour autant les amateurs de sport et principalement les plus jeunes - Millenials & GenZ - ont l'habitude d'une offre gratuite conséquente sur les plateformes autres que le linéaire. Par conséquent, il apparaît plus difficile dans ce contexte de payer chaque mois un abonnement pour suivre une compétition ou une équipe en particulier. Cela l'est davantage lorsque l'offre d'abonnement, dans certaines disciplines notamment, est très large.

En parrallèle, la période du Covid-19 et les différents confinements et couvre-feux ont entraîné une augmentation de la consommation audiovisuelle et du temps d'écran (la télévision principalement), avec près de 3h43, en moyenne, passé chaque jour par un Européen en 2020 à regarder la TV. De la même manière, une étude menée en 2021 par Médiamétrie, l'ALPA - Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle - et le CNC - Centre National du Cinéma - montre que 85% des Français se connectent chaque mois à Internet sur au moins un des trois écrans (ordinateur, téléphone, tablette) avec une moyenne quotidienne de temps passé sur les écrans de 2h26, dont 1h38 rien que sur le téléphone. Enfin, 19% de cette population connectée se rend chaque mois sur des sites illicites, avec 56 minutes de connexion mensuelle sur ces sites illégaux.

LES DISPOSITIFS DE CONSOMMATION ILLÉGALE DE CONTENUS AUDIOVISUELS

La consommation illégale de contenus sportifs s'est elle aussi développée et il existe aujourd'hui plusieurs moyens de pirater du contenu sportif : le streaming illégal (liens sur internet), la diffusion illégale sur les réseaux sociaux via Twitter et Telegram notamment, l'IPTV et l'utilisation de VPN.

La télévision sur protocole internet (IPTV) est une technologie qui utilise des connexions Internet pour diffuser du contenu télévisuel. Les utilisateurs paient en moyenne 5,22€/mois (étude 2021 par l'AAPA) et profitent alors d'un grand nombre de chaînes diffusées nationalement mais aussi de chaînes étrangères en streaming. Au cours de la dernière décénnie, ces services IPTV illicites ont proliféré et leurs utilisateurs aussi, remplaçant en partie les méthodes de diffusion traditionnelles tels que le satellite ou le câble.
L'ALPA mène la lutte contre le piratage audiovisuel en Europe et au Moyen-Orient, en soutenant les forces de l'ordre et en établissant des partenariats pour mieux lutter contre le piratage, en sensibilisant afin de décourager au piratage.

La dernière étude de l'ALPA estime qu'en 2021, 1,06 Md d'euros ont été générés par les fournisseurs d'IPTV, tous contenus confondus. 17,1 millions d'Européens (soit 4,5% de la population totale) utilisent des services IPTV illicites, contre 13,7M en 2018. Ces pourcentages sont les plus importants en France (5,1% soit 2,6 millions de personnes et même 16,8% chez les 16-24 ans), en Espagne (6%), au Royaume-Uni (6,6%), en Suède (7,2%) ou aux Pays-Bas (8,2%). Au total, le rapport considère qu'avec cette unique forme de piratage, les fournisseurs de service audiovisuels en Europe ont perdu 3,21 Mds d'euros pour la seule année 2021.

LA CONSOMMATION ILLÉGALE DE CONTENUS SPORTIFS 

En France, l'organisme de lutte contre le piratage audiovisuel est l'ARCOM - Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique. Une étude récente (2022) de l'ARCOM sur l'impact du blocage des services illicites de sport a été publiée en octobre 2022, en voici les principaux enseignements : 21% de l'échantillon (2342 individus de plus de 15 ans) consomment du sport de façon illicite dont 31% chez les 15-24 ans. Selon la dernière étude SPORSORA, 38% de la GenZ utilisent un VPN ou un IPTV pour regarder du sport gratuitement.

Si l'on s'intéresse aux compétitions sportives les plus visionnées de manière illicite en live streaming lors des 6 derniers mois, on retrouve la Ligue des Champions (football) avec 9% des internautes qui l'ont visionné de manière illicite, la Ligue 1 (8%), la Premier League (8%), l'Europa League (7%) et la NBA (7%). Si on élargit le spectre aux internautes pirates sur toutes les plateformes illicites possibles, le football reste de loin le sport le plus piraté et la Ligue des Champions reste là aussi en tête des programmes piratés. Les raisons évoquées sont pour 42% d'entre eux des prix d'abonnement trop élévés, le fait qu'ils ne veulent pas s'abonner pour regarder un seul match ou une seule compétition (34%), ou encore qu'il faudrait s'abonner à de trop nombreuses offres pour satisfaire leurs besoins de consommation sportive (32%).

Depuis le 1er janvier 2022, l'article L.333-10 du code du sport a créé un dispositif ouvert aux titulaires du droit d'exploitation audiovisuelle sur une compétition, qui peuvent, lorsqu'ont été constatées des atteintes graves et répétées à leur droit d'exploitation par un service illicite, saisir le juge afin d'en demander le blocage puis saisir l'ARCOM pour actualiser ces décisions de blocage du juge.
En 2022, l'ARCOM a reçu 85 saisines portant sur 10 compétitions sportives, pour un total de 787 noms de domaines notifiés par l'ARCOM en vue d'une mesure de blocage. Ainsi au total, ajoutés aux services bloqués en éxécution des décisions judiciaires initiales, ce sont 1299 sites illicites qui ont été bloqués en 2022.
En janvier 2023, l'ARCOM, l'APPS - Association pour la Protection des Programmes Sportifs - et la Fédération Française des Télécoms auxquelles s'est joint le groupe Iliad se félicitaient de la signature de l'accord entre les 4 principaux fournisseurs d'accès internet visant à renforcer la lutte contre la diffusion illicite de contenus sportifs en ligne.

Grâce à cette coopération opérationnelle mise en place entre les autorités compétentes, les ayants-droits et les fournisseurs d'accès internet, l'audience sportive illicite globale a ainsi diminué de moitié (49%).

LE COUP D’ŒIL DU LAB : Cette lutte contre le piratage des contenus sportifs est d'autant plus importante que les diffuseurs pourraient enregistrer des audiences plus élevées si les "pirates" devaient souscrire à un abonnement pour suivre leurs compétitions préférées. Les recettes perçues pourraient croître considérablement, des moyens plus importants permettraient aux fournisseurs de contenus audiovisuels d'investir pour innover et proposer de nouveaux contenus ou "renforcer" les contenus actuels. Les montants des acquisitions de droits audiovisuels par les diffuseurs pourraient alors augmenter en profitant de la diminution conséquente de la consommation illégale, cette hausse pourrait profiter aux ayants-droits et surtout aux clubs professionnels dont la part des revenus de droits TV est une manne financière considérable dans leur chiffre d'affaires (surtout en football et rugby).

Dans le football, les droits TV représentent environ 50% des produits d'exploitation des clubs (rapports DNCG), en rugby ce pourcentage se situe entre 20 et 30% selon les derniers rapports DNACG.

L'Etat français est également perdant car ce marché de consommation audiovisuelle illicite le prive de nombreuses recettes fiscales.

Il est cependant difficile d'estimer la part des personnes qui piratent des contenus sportifs aujourd'hui et qui souscriraient à un abonnement si tous les moyens de consommation de contenus illégaux disparaissaient demain. On imagine qu’une part non négligeable des pirates ne souscriraient à aucun abonnement et arrêteraient de suivre le sport/la compétition en question. Une étude publiée par Synamedia en 2020, basée sur un échantillon de 6000 fans de sport à travers le monde, rapporte que 26% des personnes ne seraient pas prêts à payer d’abonnement si les offres illicites disparaissaient (9% d’entre eux paient aujourd’hui pour accéder à des services illicites - IPTV par exemple). Autre donnée intéressante, 77% des personnes interrogées qui piratent des contenus sportifs ont souscrit en parallèle à des services d’abonnement payant.

Ce blocage des sites de streaming illicites est une bonne nouvelle pour les diffuseurs mais aussi pour les ayants-droits, les annonceurs et indirectement pour les clubs professionnels mais aussi pour le sport amateur financé largement par le sport professionnel. Néanmoins la technologie et les plateformes évoluant à une vitesse éclair ces dernières années, de nouveaux moyens existent aujourd’hui pour consommer le sport illégalement, au-delà des seuls sites de streaming, via Twitter ou Telegram par exemple où certains matchs de Ligue des Champions sont diffusés en live gratuitement.

Les boitiers IPTV représentent une autre source de consommation illégale de contenus. L’achat d’un boîtier pour une cinquantaine d’euros permet d’accéder à presque la quasi-totalité des chaînes TV. Pire encore, une étude IPSOS montre en 2022/2023, que parmi les intéressés par le football, 44% des sondés pensent seulement que les solutions IPTV ne sont pas illégales car ils ont payé pour obtenir ce boitier. Sur cette même population d’intéressés foot, 44% visionnent de temps en temps des matchs de football de façon illégale (67% chez les moins de 35 ans). Et dans les années à venir d’autres plateformes/moyens risquent malheureusement d’émerger.

Écrit par : 

Arthur Donnadieu, Foot Unis

Maximilien Doussaint, Infront