L’élite mondiale du cyclisme a connu l’été dernier une petite révolution avec la première édition du Tour de France Femmes avec Zwift, qui est immédiatement devenu l’échéance structurante de la saison. Alors que l’horizon de la deuxième édition se profile, six coureuses témoignent de leur expérience de juillet dernier.
“Ça m’a ouvert les yeux sur ce dont je suis capable.”
Un décor champêtre et des chèvres qui s’invitent devant l’écran : Urska Zigart était en visite chez des amis, au milieu d'un grand jardin, quand elle s’est livrée à notre visio-entretien. Cette journée ensoleillée du 21 juin était sa première dans son pays natal depuis le début de l’année. Alors, la Slovène voulait la passer avec ses proches, 24 heures avant de décrocher son 3e titre de championne nationale du contre-la-montre. Telle est la vie de la coureuse de Jayco AlUla, à cheval entre les stages en altitude, les courses aux quatre coins du monde et son domicile partagé à Monaco avec Tadej Pogacar, double vainqueur du Tour de France (2020, 2021). “Le Tour a changé la vie de Tadej. Et c’est aussi un peu mon cas” affirme celle qui s’est révélée à son tour sur la Grande Boucle, l’été dernier, via sa 8e place au Markstein au milieu des meilleures grimpeuses du monde. La grande étape vosgienne "lui a fait croire davantage en elle-même” et elle vient de confirmer sur le Tour de Suisse, bouclé la veille de cette entrevue à la 7e place. “Plus qu’heureuse” d’avoir signé en terre helvète son meilleur résultat sur une course par étapes, elle a bien failli mener à son terme une échappée solitaire lors de la 3e étape. Quelques mètres à peine lui ont manqué pour remporter son premier succès en World Tour. La forme est donc là à l’approche du Tour. Et si elle ne figure pour l’instant pas dans la sélection de son équipe, Urska Zigart , 26 ans,"se tient prête" pour s'inviter à la fête si une place venait à se libérer, comme ce fut déjà le cas l’an passé.
La forme affichée sur le Tour de Suisse (7e ) doit vous satisfaire à un mois du départ du Tour de France Femmes avec Zwift.
Oui, beaucoup ! Je me suis entraînée en altitude, j’ai travaillé dur et tout se met en place. Je suis très heureuse de la manière dont s’est déroulé le Tour de Suisse. Et puis, sur la 3e étape, je suis passée toute proche de la victoire… Je sais de quoi je suis capable. Mais, pour l’instant, il faut dire que je ne suis pas dans la sélection pour le Tour. Cela changera peut-être, tout dépendra de comment se passe le Giro (30 juin au 9 juillet). Avant le début de saison, quand nous avons établi le calendrier, ils m’ont dit que je ne ferai pas le Tour. J’ai répondu : “Ok, mais je serai prête si vous avez besoin, comme l’an passé”. Je me tiens prête.
Vous aviez été appelée en dernière minute pour pallier un forfait… Et puis, tout le monde a été épaté par votre performance lors de la 7e étape, celle du Markstein (8e ), où vous vous êtes accrochée dans le groupe des favorites. À quel point vous êtes-vous surprise ce jour-là ?
Nous n’avons pas beaucoup de courses avec des cols. Alors, j’étais très, très heureuse de pouvoir enfin montrer quel était mon point fort, à savoir la vraie montagne. Quand j’ai fait la jonction sur le groupe des favorites [distancée au pied du Petit Ballon, elle est ensuite revenue seule sur le petit groupe où figuraient notamment Niewiadoma et Labous], mon but était simplement de survivre. J’étais si heureuse d’être là. Ça m’a ouvert les yeux sur ce dont je suis capable. Je pense que cette journée a changé mes perspectives. Elle m’a fait croire davantage en moi-même.
Quelles sont ces nouvelles perspectives que vous évoquez ?
C’était la première fois que j’étais parmi les meilleures grimpeuses. Vous avez beau voir vos chiffres à l’entraînement, il n’y a qu’en étant là qu’on peut se dire : “Voilà à quel point je suis forte, voilà jusqu’où je peux aller.” On commence à voir le futur différemment.
« Le Tour était nécessaire pour hisser notre sport un peu plus haut »
Diriez-vous que le Tour était la course qu’il manquait pour vous faire briller ?
Oui. Mais pas seulement pour moi. C’était nécessaire pour le calendrier féminin. Quand on dit aux gens “je suis une cycliste pro”, ils disent “ah, et vous faites le Tour ?”. Jusqu’à l’an passé, on ne pouvait pas répondre oui. Maintenant si. On a notre propre Tour. Les gens peuvent voir que c’est un vrai travail, que c’est réel. Ils comprennent ce que l’on fait. Je pense que le Tour était nécessaire pour hisser notre sport un peu plus haut. Ce n’était que la première édition de la nouvelle ère, mais c’était déjà la plus grosse course du calendrier, y compris du côté de l’organisation et du public. C’était génial de voir autant de gens nous soutenir. Notre travail est devenu concret. On se dit que ce que l’on fait, ça compte, qu’il apporte de la joie aux gens.
Et maintenant, avec Tadej Pogacar, vous pouvez discuter ensemble de ce que c’est de faire le Tour de France.
Oui, mais pour lui, c’est un peu différent ! Mais oui, nous savons à quel point c’est stressant et pourquoi c’est la plus grande course au monde. Tout le monde se prépare pour ça. Pour Tadej, évidemment, le Tour a changé sa vie, ça a changé sa trajectoire. Pour moi, c’est aussi un peu le cas. En tant que compagne, mais aussi en tant que coureuse. C’est quelque chose qui a eu un gros impact sur notre vie.
Comment décririez-vous l’influence de la réussite de Tadej sur votre propre carrière ?
C’est toujours très motivant. Parce que je m’entraîne avec lui et je sais à quel point il travaille dur. Je n’essaie pas d’être comme lui, car c’est juste impossible. Il est unique. Mais c’est motivant, cela m’aide à me dépasser au quotidien. On est là l’un pour l’autre. Dès que c’est possible, on essaie d’aller se voir sur les courses. On ne peut souvent pas à cause de nos différents programmes. Mais on essaie d’être là, ne serait-ce que dix minutes avant le départ, pour se dire bonne chance ou des trucs comme ça. C’est vraiment bien d’avoir quelqu’un qui te comprend. Quand tout va bien, quand tu gagnes, c’est facile, tout le monde est là pour toi. Mais quand ça tourne mal, c’est très important d’avoir quelqu’un pour te soutenir.
Evita Muzic nous a confié qu’elle s'entraîne autant que possible avec son compagnon, le coureur de Cofidis Eddy Finé, quand ils sont tous les deux à la maison. Est-ce aussi votre cas avec Tadej ?
Oui, presque tous les jours ! Quand l’un doit faire une heure de plus, il rallonge un peu mais on démarre toujours nos sorties ensemble. Tadej m’attend en haut des montées, peut-être deux ou trois minutes, ou fait demi-tour pour me récupérer et m’accompagner sur le dernier kilomètre. Je sais que c’est dur… Il m’a fallu du temps pour gérer tout cela au mieux. Car on a vite fait de vouloir le suivre en se disant “je peux y arriver”, puis aller complètement au-delà de la limite et tomber dans le surentraînement. Car les hommes sont les hommes. Je comprends complètement Evita et son petit ami, car le temps passé ensemble est limité. J’imagine qu’ils sont comme nous. Evita est vraiment forte en montagne, je pense qu’elle n’a pas de problème à suivre son petit ami !
« Si tu gagnes au Tourmalet, c’est fou. Je pense que c’est le rêve de tout cycliste. »
La perspective de gravir le Tourmalet doit être particulièrement excitante pour la grimpeuse que vous êtes.
Bien sûr. C’est une montée iconique. Si tu gagnes au Tourmalet, c’est fou. J’imagine le nombre de fans là-haut, surtout qu’on sera le week-end. Je pense que c’est le rêve de tout cycliste. Espérons que je puisse être là et que j’aurai de bonnes jambes !
Un premier top 10 au général d’un grand tour, que ce soit sur le Giro ou le Tour, fait-il partie de vos ambitions cette année ?
Je ne veux pas me mettre trop de pression. Ma 7e place sur le Tour de Suisse a été mon premier gros résultat sur un classement général. Dans l’équipe, nous avons Ane Santesban dans ce registre, elle est super forte. Je serais plus qu’heureuse de pouvoir l’aider à obtenir un résultat. Si je peux gagner une étape sur le Giro ou le Tour, comme j’ai failli le faire en Suisse, ce serait déjà vraiment un gros truc pour moi. Le reste ne sera que du bonus.
Plus c’est difficile, mieux c’est pour vous. En revanche, courir bien placée vous semble encore difficile. Sur le Tour 2022, avant l’étape du Markstein, on vous apercevait constamment en queue de peloton… Oui, je pense que c’est l’une des choses que je dois vraiment améliorer. J’ai commencé à courir assez tardivement, lorsque j’étais déjà en catégorie élite. L’équipe m’aide beaucoup là-dessus, elle croit en moi pour le futur. Je travaille sur ce point, tout comme pour les descentes, où je ne suis pas la plus à l’aise. Je dois améliorer mes capacités techniques pour pouvoir briller sur tous types de course. Mais il est certain que cela ne me dérangerait pas qu’il y ait davantage de longues montées !
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